Mémoires Vives entre à la Fac
« La Fondation Abbé Pierre, c’est un camp de réfugiés de projets associatifs… » Ex-rappeur, Yan Gilg a le sens de la formule. Désormais, il assure la direction artistique de Mémoires Vives, une compagnie qui produit et diffuse des spectacles vivants autour de l’histoire des territoires, de l’immigration et de la mémoire collective. Yan Gilg l’a cofondée en 2006, dans le quartier d’Elsau à Strasbourg, avec d’autres artistes, réalisateurs, historiens, travailleurs sociaux et culturels.
Partageant aujourd’hui sa vie entre la capitale alsacienne et Marseille, il contribue au développement des activités de Mémoires Vives sur les bords de la Méditerranée. Et, chaque fois qu’il descend dans le Sud, Yan Gilg arrive avec une valise pleine de projets. Il a même certainement souscrit à un supplément bagages en 2019. « La compagnie vit actuellement un grand tournant à Marseille », confie le directeur artistique à la terrasse d’un café de Belsunce.
Valoriser les compétences autodidactes
Un quartier où il souhaite installer la Fac (Fabrique artistique et culturelle citoyenne). « C’est un projet basé sur les arts pour désenclaver les quartiers populaires et en valoriser toute la richesse », explique-t-il. Par la formation et la transmission, la Fac vise à pousser sur le devant de la scène « des personnes autodidactes avec des compétences non validées dans les arts, la mode, la technologie ou même le droit ! », poursuit Yan Gilg. La Fac accompagnera les habitants du quartier pour des projets artistiques ou économiques. Pour cela, elle se basera sur un réseau d’entraide autour du prêt de matériel et de l’échange de compétences.
Il s’agit d’un retour aux sources pour Yan Gilg, comme pour Mémoires Vives. Un temps éloignée des quartiers populaires, la compagnie s’y replonge aujourd’hui la tête la première. « L’ambiance a changé ces dernières années, observe le directeur artistique. On y constate de plus en plus de défiance chez les habitants. Cela s’explique par le contexte de tensions internationales. Mais aussi par le jeu des élus qui s’évertuent à opposer et à mettre le feu avec des discours qui divisent la population. Dans ce contexte, nous cherchons plutôt à réunir, donner de la force aux acteurs pour montrer qu’on est là et qu’on se bouge ! »
« Réseau de rattrapage »
Ce projet, comme beaucoup d’autres, ne pourrait voir le jour sans la Fondation Abbé Pierre (Fap). Avant tout pour des raisons financières : « La Fap représente un gros soutien pour nous. Depuis que nous en sommes devenus partenaires il y a quatre ans, elle pallie l’absence d’aide des institutions. Au milieu de ce désert financier dans lequel nous évoluons, c’est grâce à la Fap que la Fac pourra naître. »
Mais, plus globalement, le fait d’être partenaire de la Fap et d’œuvrer au sein de son réseau Croisons le Faire, crédibilise l’action de Mémoires Vives. « La Fondation a pignon sur rue. Elle est écoutée par les gouvernements et participe à la construction d’une parole politique », se félicite Yan Gilg. Ainsi, la Fap porte la voix des associations qui passent sous le radar des autorités. « La Fap, c’est en quelque sorte un “réseau de rattrapage” des carences de l’Etat Providence, résume le directeur artistique de la compagnie. Les petites structures comme la nôtre s’adaptent beaucoup. Elles gaspillent moins car leur échelle est humaine. Pourtant, l’Etat continue de commettre l’erreur de financer quasi exclusivement de grosses machines sclérosées et éloignées de la réalité du terrain… »
« Sauce samouraï » à Marseille
Le terrain, justement, Mémoires Vives ne veut pas l’abandonner. Surtout pas. « Notre volonté, c’est de montrer ce qui se passe réellement dans les quartiers populaires et d’y faire émerger toutes les initiatives qui le méritent, martèle Yan Gilg. En ce sens, nos objectifs sont les mêmes que ceux de la Fap et du réseau Croisons le Faire. » C’est pour cela qu’avec son projet de Fac, la compagnie s’associe à La Rétablique. Cette structure crée et gère des espaces communs ou des tiers-lieux dédiés à la transition économique, écologique et culturelle dans les quartiers dits « prioritaires » français. Elle prospecte actuellement pour trouver des espaces dans les quartiers nord de Marseille.
La compagnie a également produit, avec la Fap, le film « Le secret de la sauce samouraï » de Benjamin Piat. Dans ce long-métrage jouent des habitants de Belsunce, Noailles, des Carmes, de la Busserine et des Lilas. La fondation accompagne également Mémoires Vives dans son travail sur la mémoire et les migrations (1). « Tout cela serait impossible sans la Fap, insiste Yan Gilg. Savoir que nous nous inscrivons dans le sillon de l’Abbé Pierre nous donne de la force. Pour moi, il incarne la plus belle des France, au-delà des différences religieuses et sociales. Il représente le don de soi humaniste. »
1. Plus d’infos sur sa programmation de décembre : https://cie-memoires-vives.org/