Des gants dans les camps
« On paye dans la vie les coups qu’on a mis sur le ring. » L’anecdote est d’Eddy Vaccaro, auteur de Young, un récit sous forme de bande dessinée autour de ce boxeur tunisien mort à Auschwitz Young Perez. Ce matin marseillais au Petit Nice après que Richard Caramanolis, ancien champion de France mi-lourds, ait lancé à Eddy : « Je l’ai lu ton bouquin : Wahou… », nous retraçons ensemble cet épisode méconnu de la Shoah que fut la boxe à Auschwitz.
Young retrace l’histoire de Victor Young Perez, juif tunisien devenu champion de France de boxe en 1931 et qui périt en 1944 dans le camp d’Auschwitz. Le scénario d’Aurélien Ducoudray s’est inspiré de la biographie de André Nahum (1), Quatre boules de cuir…, et de Si c’est un homme de Primo Levi. Si les auteurs s’étaient déjà penchés avec succès sur le monde de la boxe avec Championzé (2), il a fallu s’accommoder d’un monde dont peu sont revenus pour raconter. Et encore moins d’entre eux ont pu raconté ce que fut la boxe dans les camps.
Pour prendre langue il faut déjà s’imaginer que ce sport populaire était le sport roi de cette époque. Des milliers de supporters pouvaient suivre un match sans avoir une image devant eux. Et sans radio non plus. Un boxeur au début du siècle précédent, c’est un gladiateur des temps modernes, un Achille, un héros comme se voyait encore Mike Tyson (3) en 1983. Un boxeur c’est autre chose qu’une machine entre les mains d’un bookmaker qui te lance dans des smokers pour gagner des dollars. « Cus( D’Amato) affirmait que la puissance d’un coup n’était pas une question de physique mais de mental. » Si pour Tyson la fière histoire commençait avec Jack Johnson, un frère noir, pour Young Perez elle s’ancrait dans celles des lutteurs des colonies. Après avoir quitté la Tunisie et son quartier pauvre Young Perez se rend à Marseille puis conquiert son titre à Paris. Il se battit en 1938 en Allemagne pendant la nuit de Cristal où des centaines de synagogues brûlèrent et des milliers de magasins juifs furent incendiés dans toute l’Allemagne. Ces prémices à l’internement des juifs ne porta pas chance à Young. Il perdit son combat.
Quelques années plus tard, dénoncé, Young rejoindra les juifs d’Allemagne dans les camps mais ce qui le sauva pour un temps fut la boxe. En effet, un officier allemand nommé Heinrich Schwartz, « un cinglé de boxe » monte une équipe de boxe. « Tous les dimanches sur la place d’appel les nazis cherchaient des boxeurs dans les convois. » L’équipe est confiée à un Kapo, champion mi lourd, Kurt Matagans qui va recruter dans chaque chargement les boxeurs destinés à distraire les soldats allemands. Young devient boxeur à Auschwitz et survit car les sportifs ont droit à une soupe améliorée. Comme le raconte Noah Klieger (4), « c’était une soupe convenable, celle que mangeait les allemands ». Les autres ont droit à un liquide noir, un petit cube noir et de la margarine synthétique le matin et du rutabaga gelé dont la puanteur est affreuse : de l’eau chaude jaune et puante. Noah Klieger et comme Hertzo Haft, le protagoniste du Boxeur (5), juif, mais tous deux ne sont pas des boxeurs. Plutôt des jeunes gens dont la mort ne veut pas et qui pour sauver leur peau, porteront les gants à Auschwitz.
Le manager leur explique que s’ils ont menti, ils seront envoyés à la mort. Ils doivent alors passer une épreuve et faire du shadow boxing. Noah a 16 ans et lève la main pour passer le test. Il le réussit. Car il a vu Young sur le ring et l’imite. Ce dernier a 20 ans, « un grand ami ». D’ailleurs Young disait : « Pour les copains, il faut tout faire… » Noah raconte aussi qu’un autre s’approche, Jacko Razon, le champion de boxe de Salonique. Il va amortir ses coups sur le ring. Noah n’a jamais gagné de match mais il a survécut. Young qui l’a sauvé en distribuant de la soupe, sera éliminé dans les derniers jours du camp.
Young, Tunis 1911- Auschwitz 1945, Eddy Vaccaro, Aurélien Ducoudray, Futuropolis, Paris, 2013, 126 pages, 20 euros.
Christophe Goby
(1) André Nahum, Quatre boules de cuir où l’étrange destin de Young Perez, champion du monde de boxe, Tunis 1911-Auchwitz 1945, Paris, 2002, 237 pages, 20euros.
(2) Championzé, une histoire de Battling Siki, Eddy Vaccaro et Aurélien Ducoudray,
(3) Futuropolis, 2009, 128 pages, 20 euros Mike Tyson, Autobiographie, La vérité et rien d’autre, Les Arènes, 2013.
(4) La boxe ou la vie. 2008. Ed Elkana.
(5) Reinhard Kleist, Le Boxeur, Casterman, Paris, 2013, 208 pages, 16 euros.