le Ravi fait son printemps arabe
Choisir la Tunisie comme deuxième pays pour illustrer la presse pas pareille en Méditerranée semblait une évidence… D’abord parce que le Forum Mondial des Médias libres (FMML) a choisi Tunis pour sa 4ème édition. Il va s’y tenir, avec le Forum Social mondial, du 22 au 28 mars prochain. le Ravi participera à ce forum où la presse indépendante du monde entier va réfléchir à une charte commune [cet article, publié dans le Ravi n°127, daté mars 2015, a été rédigé fin février 2015. Avant, donc, l’attentat du Bardo et le forum mondial des médias libres auxquels nous avons participé et dont nous rendons compte dans le numéro 128 du Ravi, daté avril]. Mais surtout parce que la Tunisie est le seul pays des révolutions arabes qui a réussi à accoucher d’une presse libre, même si cela s’est fait aux forceps… « C’est un modèle pour tout le Maghreb-Machrek », note Mohamed Leghtas, coordinateur du portail E-Joussour, basé au Maroc et qui co-organise le FMML.
Web et radios libres
Avant 2011, seuls les journaux contrôlés par l’Etat sont autorisés, pour les autres médias c’est la censure. Pendant la révolution, les réseaux sociaux- facebook et twitter avec le hashtag #sidibouzid – jouent un rôle crucial dans la transmission de l’information. Alors que les journalistes indépendants sont muselés, les cyber-citoyens prennent le relais et les vidéos amateurs sont pendant plusieurs semaines les seules images que le reste du monde pourra voir de la révolution du Jasmin, avant que le gouvernement ne censure le net et n’emprisonne de nombreux blogueurs.
Le blog indépendant Nawaat est fondé en 2004. C’est une tribune libre offerte aux cyber-activistes de tous bords qui s’opposent à la dictature de Ben Ali. Depuis la révolution, le site emploie une dizaine de journalistes (lire plus bas). La presse écrite comme ailleurs est en crise. Et les journaux qui servaient la soupe sous Ben Ali tentent aujourd’hui d’être un peu plus incisifs…
Les radios communautaires (associatives) qui existaient avant la révolution étaient censurées, mais depuis novembre 2011 (décret-loi 2011-116), les médias associatifs sont reconnus juridiquement. Radio 6 est l’une d’entre elles. Nozha Ben Mohamed en est l’une des fondatrices et actuellement la directrice. Tout démarre en 2007, de façon clandestine d’abord sur le web. Des années difficiles entre intimidations et agressions physiques. Depuis 2011, Radio 6 émet sur la FM, et a aujourd’hui de vrais locaux et 15 000 auditeurs permanents. Il existe 28 radios communautaires au total en Tunisie, dont 11 seulement ont une licence délivrée par la Haica (Haute autorité indépendante de la communication audio-visuelle qui existe depuis 2013). Radio 6 a pu bénéficier d’une aide financière de l’Unesco, de l’UE, d’Oxfam ou encore de l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (Amarc) pour se développer, mais ce n’est pas le cas de toutes les radios. Le syndicat des radios libres (STRL) réfléchit actuellement à un fonds commun auquel ils espèrent faire contribuer l’Etat.
Les télés indépendantes sont beaucoup moins nombreuses que les radios, par manque de moyens financiers. Certaines comme AstrolabeTV n’émettent que sur le web. « Il y a énormément de pressions économiques et politiques, note Mahmoud Dawadi, président du Centre de Tunis pour la liberté de la presse (CTLP). Lors des dernières élections, de nombreux scandales concernant des chaînes de télévision qui se présentaient comme indépendantes mais travaillaient finalement pour le compte de partis politiques ont éclaté. » Les sources de financement « douteuses » ont surtout investi l’audiovisuel. La Haica a d’ailleurs décidé de se pencher sur le problème et de traduire en justice si nécessaire.
La menace du terrorisme
La Tunisie occupe la 126ème place du classement mondial de la liberté de la presse 2015 publié par Reporters Sans Frontières, (133ème en 2014 et 164ème à la veille de la révolution). Si les 7 places gagnées sont clairement liées au vote de la nouvelle constitution, les acteurs de l’information sont encore trop souvent mis à mal : violences policières, insécurité juridique pour les journalistes (1), mise à mal des prérogatives de la Haica…
Les médias internationaux en parlent peu, trop occupés à regarder ailleurs, mais le terrorisme est très présent en Tunisie. « Il y a des attentats déjoués tout le temps et à nos frontières c’est la catastrophe. On ne s’habitue jamais à ça… Comme tous les Tunisiens, je suis menacée par l’obscurantisme et la bêtise. Parce que les gens libres dérangent », note Nadia Khiari alias Willis from Tunis , devenue dessinatrice de presse avec la révolution (le dessin qui illustre cet article, c’est elle) et qui avec d’autres a créé le site internet satirique YakaYaka.org , dans l’espoir de voir naître un jour une version papier.
Les journalistes tunisiens qui ont montré leur soutien à la rédaction de Charlie Hebdo se sont vus directement menacés de mort. C’est le lot quotidien de Soufiane Ben Farhat, journaliste indépendant : « Nous sommes surexposés, mais nous avons gagné la liberté de l’information, et même s’il existe des menaces financières et des envies pour certains de nous faire revenir à la case départ en nous réduisant au silence, à la soumission et à la compromission, les journalistes tunisiens restent bel et bien déterminés à faire leur travail. »
Samantha Rouchard
(Dessin de Nadia Khiari)
1. Le blogueur tunisien Yassine Ayari, jugé pour atteinte à l’armée l’a été par une cours militaire et non civile, il risque un an de prison.