« Il y a d’autres solutions que le FN ! »
En 87, déjà, vous chantiez « ma ville tremble, ma ville est malade » pour dire non au Front national. Comment réagissez-vous aux derniers succès électoraux de l’extrême droite ?
En 1986, le FN avait fait à Marseille 28 % lors des élections régionales, c’était alors son plus haut score de très loin dans toute la France ! Cela nous avait tellement choqué que j’ai fait cette chanson sur ma ville malade de cette fièvre qui malheureusement gagne tout le pays. Des gens se jettent dans les bras du nouveau « mainstream » de la pensée française, le FN, en se disant que finalement ils n’ont pas l’air si diablotins que çà. Mais ce sont des loups déguisés en agneau, au point de chausser les frusques du PCF !
Votre hostilité au FN n’est pas récente…
Quand j’avais 16 ans, on se bagarrait déjà contre les manifs du FN. On prenait dans la gueule car les flics tapaient sur nous et les protégeaient, eux. A l’époque, ils étaient habillés avec des tenues de SS, des casquettes nazies, et un service d’ordre des plus musclés. Aujourd’hui, ils sont entrés dans un moule bien policé. Stéphane Ravier (Ndlr le sénateur-maire FN de Marseille) a même l’air sympathique. Pourquoi les gens, en désespérance, n’iraient pas vers ceux qui cherchent à les rassurer alors que les autres les abandonnent ?
Quels risques fait courir l’implantation locale du FN ?
Le plus grave ce sont tous les élus départementaux du FN qui vont siéger dans des commissions, sachant que si la dynamique se confirme, on risque de se retrouver avec la même proportion d’élus FN à la région. Ils vont faire poids, par des censures, des oppositions, des retardements de signatures de projets. Ils visent directement à intervenir dans la vie des gens, concernant l’habitat par exemple. Ils vont se débrouiller pour discriminer à l’intérieur des collectivités territoriales certains dossiers…
Y-a-t-il matière à s’affoler ?
Je reste malgré tout confiant dans le peuple marseillais et français. Il grogne, il maronne. Il faut donner aux électeurs et aux abstentionnistes quelque chose d’intéressant, intellectuellement, de beaux projets, et peut-être qu’on les ramènera alors dans des votes plus positifs.
Le problème vient-il donc de l’offre politique ?
La diversité de la vie politique en France est très faible. Tout un tas de petits candidats se disent de gauche, de divers gauche, de droite, de divers droite, cela n’exprime plus rien pour les gens, et en particulier les jeunes qui tweetent avec leur Iphone toute la journée. Mais il ne faut pas les prendre pour des idiots. Ils sont au courant, très alertes, vifs d’esprits. Les Français sont d’ailleurs éduqués dans l’ensemble, capables de comprendre un discours complexe et élaboré. Mais les politiques continuent à servir de la soupe de Bisounours en nous méprisant et en nous prenant pour des imbéciles.
Les électeurs et les abstentionnistes ne sont-ils pas les premiers responsables de leur classe politique ?
Oui et si on n’est pas content de la politique des uns et des autres alors montons d’autres systèmes ! En Espagne, qui a connu les vrais problèmes que l’extrême-droite a créés avec Franco, ils ne se sont pas jetés dans les bras d’un quelconque Front national. Ils ont inventé Podemos qui porte des revendications de gauche et pas national-socialistes. Il y a d’autres solutions que le FN si on n’est pas content ! Il faut être moins faignant que les Français ! Le 11 janvier, nous étions 4 millions dans la rue, en silence. C’était très beau ! Pourquoi ne le fait-on pas toutes les semaines plutôt que d’aller voter pour des propos de haines et élire des gens qui vont mettre le bordel pendant des années ? Il faut réfléchir avant d’agir !
Comment lutter contre l’extrême droite ?
Le FN est à combattre par les idées et surtout par les actes. Il y a une perte de confiance dans notre capacité à vivre ensemble, à inventer, à se rencontrer. Commençons peut-être par aider les associations, les collectifs, les fêtes de quartier, qui s’y emploient. Mais malheureusement on leur sucre les subventions. Il manque des dispositifs, des moyens, de la collaboration entre les élus et les gens de terrains. Et j’essaye de rester raisonnable en disant çà car j’ai envie d’être plus violent.
A Marseille, sous la municipalité Gaudin, les fêtes de quartier, auxquelles vous avez activement participé, disparaissent les unes après les autres…
C’est un scandale. On coupe l’herbe sous le pied des fêtes de quartier. Si les gens veulent de la fête, on leur en donnera mais comme on leur offre des supermarchés pour aller s’acheter à manger. Cela va donc faire le lit des sociétés privées d’événementiels qui vont venir vendre clef en main de la fête préfabriquée, formatée. Evidemment, les élus locaux seront rassurés et tranquilles mais ce n’est pas çà qui va favoriser la démocratie et le vivre ensemble. Les produits commerciaux ne génèrent pas de liens.
On entend rarement les Massilia prendre à partie les élus locaux. A gauche, la candidature d’un Guérini, lesté de mise en examen, ne vous a pas choqué ?
Chaque fois qu’on nous pose des questions, on répond. Monsieur Guérini, je me suis opposé à lui dans mon quartier, dans ma rue, devant chez moi. Plusieurs fois. Devant toute la presse, en tant que citoyen. En tant qu’artiste je n’ai pas grand-chose à lui dire de plus que dans ma chanson « mis en examen » qui en raconte beaucoup sur beaucoup de monde…
Inversement, les politiques, même le FN, ne semblent pas oser dire du mal du Massilia. Est-ce parce que, comme la Bonne Mère, vous faites désormais partie du patrimoine local ?
En matière politique, s’ils voulaient parler avec nous, ce serait un peu comme si des footballeurs voulaient jouer avec des rugbymans. Ballon rond contre ballon ovale, ce n’est pas possible ! Nous on parle vraiment de politique, eux non…
Le Massilia Sound System est-il de gauche ?
Nous sommes « castaniens ». Félix Castan, est un philosophe occitan qui, notamment, aimait et comprenait Marx en le dépouillant de toute idéologie. Massilia c’est un groupe que l’on peut qualifier de libertaire, de libre penseur, réunissant des gens qui disent ce qu’ils ont envie mais pas n’importe quoi, juste pour faire un bon mot, une belle rime. Castan a théorisé notre désir « politique » d’intervenir dans la cité. Il nous a livré une boite à outil fabuleuse.
Comme Castan vous dénoncez le centralisme à la française. La réforme des collectivités locales va-t-elle y changer quelque chose ?
Non. De même que la création des conseils régionaux n’a pas visé à diviser le pouvoir du centre : elle lui a permis de le multiplier. On parle du « mille-feuilles » des collectivités locales, c’est une belle parabole. Derrière, il y a des élus, des potentats, des comtes, des barons, des ducs. Ils sont très arcboutés sur leurs prérogatives. Avec la professionnalisation de la vie politique, leur souci est de rendre des services pour préserver leur électorat, de se faire réélire et garder un job, plutôt que de servir le bien commun.
N’avez pas parfois le sentiment de chanter dans le vide ?
Je chante dans un micro et avec une sono !
Dans le dernier album du Massilia vous appelez à « un grand changement d’air, un grand souffle de renouveau ». Le vent n’a pas l’air franchement de vouloir se lever !
On souffle, avec les chourmos ! On souffle, souffle, et souffle encore pour gonfler la voile ! On rame aussi, à contre-courant, comme nos collègues de radio Galère. Que faire autrement ? On se met sur le bord de la route, on s’assoie et on pleure ? Mais s’il suffisait de quelques artistes et de quelques chansons pour sauver le monde : ce serait si beau et si facile…
Propos recueillis par Michel Gairaud et Rafi Hamal