Les mineurs broient du noir

mars 2005
Emblème du monde ouvrier, la mine de Gardanne n'est plus. A quelques kilomètres de là, à Biver - haut lieu des gueules noires provençales - le village pâtit de cette disparition...

Comme dans une boule de cristal, tout le monde pouvait lire l’avenir de la mine de Gardanne… Le Pacte charbonnier de 1994 l’avait prédit : les Houillères des bassins du centre et du midi (HBCM) (1) devaient fermer, au plus tard, en 2005. C’était écrit ! Mais personne n’osait vraiment y croire. Et pour cause : «il y a 40 ans, ils parlaient déjà de la fermeture de la mine… », se souvient Jean-François, une gueule noire aujourd’hui à la retraite. Alors, qui pouvait se douter qu’un jour cela se produirait bel et bien ?

Avec deux ans d’avance sur le calendrier, pour des raisons de rentabilité selon la direction, ce qui devait arriver arriva. Le 1er février 2003, les Gardannais vivent la mort de l’un des symboles de leur cité. La rage au ventre, les syndicats et la municipalité (PCF) lancent chacun des offensives pour retarder les obsèques… Presque au lendemain de l’arrêt de l’exploitation, la mairie appelle à manifester. Banderoles, tracts et autocollants, à l’intitulé évocateur – « La mine : c?urs et poings serrés » – parsèment rapidement la ville.

A ce moment là, certains s’inquiètent déjà de l’avenir des mineurs et de leur famille. « Que vont devenir les enfants des mineurs ? » demande, par exemple, une standardiste de la mairie… Plus qu’un déchirement, la fin de l’exploitation minière à Gardanne semble sonner le glas de toute une population.

Pas seulement un gagne-pain, ce métier d’ouvrier était également une suite logique, un héritage familial. « Mon père était mineur, il était rentré en 1920, raconte Jean-Claude – aujourd’hui reconverti en patron de bar. Puis trois de mes frères ont été mineurs à leur tour, comme moi… J’ai essayé de faire embaucher mon autre frère. Mais ils n’embauchaient plus… ». A ses côtés, François, hoche la tête. Son père et ses frères étaient aussi mineurs. Lorsqu’ils repensent à la fermeture de la mine, les deux collègues essaient toujours de s’expliquer cette « tragédie » : « Au début, de mon temps, il y avait un seul chef. A la fin, il y avait plus de chefs que de mineurs… une dizaine ! », explique François. Perte de motivation parmi les mineurs ? Mauvaise gestion du personnel ? Encadrement trop important ? Les anciens s’interrogent toujours sur cette « perte de rentabilité », invoquée par la direction, et réfutée par les syndicats…

Avant tout, ce sont l’amertume et la nostalgie qui demeurent. « On est lésé à Biver, se plaint François… Il y a trop d’injustice ! La mine faisait vivre tout le village, les mineurs mais aussi les sous-traitants. Maintenant, les jeunes sont obligés de partir… » Il y a encore quelques « avantages » auxquels les mineurs essaient de se raccrocher (2), le logement en particulier. « Avant, il était fourni par la mine, avec l’eau et le gaz gratuits. Maintenant, nous devons racheter notre maison pour que nos enfants puissent la garder. » Depuis que les houillères (HBCM) ont cédé ces logements de fonction à la SAFC (Société anonyme de Franche-Comté), les mineurs tentent de les acquérir. « Ce n’est pas nécessairement gagné, constate Jean-Claude. Il y en a encore une centaine qui attendent. »

Entre souvenirs d’un passé dur et d’une solidarité ouvrière, François, Jean-Claude et les autres, trouvent le temps d’aller jouer quelques parties de pétanque… Parce que la vie de mineur, c’est bel et bien fini.

Adèle Monlairjih

1 Les HBCM comprenaient sept bassins miniers, en Provence mais aussi en Aquitaine, Auvergne, Blanzy, Cévennes, Dauphiné, Loire. Pour un historique complet, voir le site www.charbonnagesdefrance.fr. 2 Le pacte charbonnier prévoit un congé charbonnier de fin de carrière (CCFC) dont les agents peuvent bénéficier à partir de 45 ans, dès lors qu’ils ont une ancienneté égale ou supérieure à 25 ans. L’agent qui choisit ce statut est dispensé d’activité tout en restant inscrit à l’effectif et en conservant les droits et obligations correspondants. Il bénéficie d’une garantie à hauteur de 80 % de son salaire net antérieur.

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