En attendant les crécelles…
Un participant des « Etats généraux de l’urgence sociale », réunis à Aix-en-Provence fin décembre, s’interroge à voix haute : l’adjoint au maire en charge de l’exclusion à Marseille, Xavier Méry, « il est pas philosophe de formation » ? En effet, si l’on en croit son profil sur les réseaux sociaux, ce chef d’établissement catholique a étudié à la Sorbonne la philosophie et la religion, jouant même les profs de philo pendant près de vingt ans.
C’est pourtant lui qui, aux côtés du Samu social et d’une compagnie d’assurance, s’est mis en tête de distribuer aux SDF une carte nominative faisant état de leurs pathologies avec, au verso… un triangle jaune ! « Cette carte va sauver des vies », assure-t-il, le jour de la présentation du dispositif. Et son patron, le sénateur-maire UMP, Jean-Claude Gaudin, de renchérir : « Cette carte va participer à renforcer notre politique de santé publique sur le terrain. » Piquant, de la part de celui qui, fin 2011, a pris un arrêté anti-mendicité et vient de confier la gestion de l’UHU de la Madrague à AMS (lire page ci-contre).
C’est peu dire que cette carte a provoqué un véritable tollé, un collectif ainsi que plusieurs associations et organismes ayant manifesté pour dire leur opposition, tant pour la symbolique et l’aspect stigmatisant de ce dispositif que pour le peu de cas qu’il fait de la confidentialité entourant d’ordinaire les informations relatives à la santé de chacun.
Lors de son passage à Marseille, Marisol Touraine, la ministre de la Santé, enfonce le clou : « Au-delà du caractère désagréable de voir un triangle jaune apposé sur les vêtements de certains de nos concitoyens, il n’est pas acceptable que l’état de santé, les pathologies des citoyens soient inscrites noir sur blanc sur leur poitrine. » Et d’asséner : « Cette démarche me paraît absolument contraire à toute l’éthique qui doit présider à la prise en charge sanitaire de nos concitoyens et je souhaite que les initiateurs de cette démarche y mettent fin le plus rapidement possible. »
Méry se dit « scandalisé par les polémiques absurdes autour de la carte de secours », estimant que « cette carte, qui n’a pas vocation à être visible de tous, permet avant tout aux pompiers et au personnel soignant de recueillir des données essentielles afin d’identifier, d’aider efficacement et souvent de sauver la vie de ces personnes dépourvues de tout lien. Elle ne contient aucune information médicale destinée à rester confidentielle autre que le groupe sanguin du porteur »…
Pourtant, si l’on se réfère tant au mode d’emploi de la carte de secours qu’au site web de la société la commercialisant, celle-ci, à l’origine, devait bel et bien faire état du « médecin traitant » mais aussi des « allergies » et des « pathologies et traitements ». En outre, c’est une « carte à vue », est-il précisé. Avec ce conseil : « Accrochez-la à l’extérieur d’un sac à main, d’une sacoche… » L’inventeur du dispositif, Philippe Grivolas, se présente comme un simple chauffeur de bus avignonnais qui a eu le déclic après un incident aux urgences avec son épouse : « L’idée nous est venue lorsqu’une personne de notre entourage a dit à mon épouse : " Étant donné tes pathologies (polyarthrite rhumatoïde… etc.) et tes nombreuses allergies, c’est une ardoise que tu devrais avoir autour du cou ! "… »
Depuis, il ne serait plus question, pour les sans-abris marseillais, que d’une carte nominative se contentant de préciser l’identité et le groupe sanguin de la personne. Ce qui ne satisfait pas davantage Géraldine Meyer, porte-parole du collectif « Alerte » : « Au-delà du fait que les analyses pour déterminer le groupe sanguin sont quasi systématiquement refaites en cas d’hospitalisation ou d’intervention des secours, pourquoi instituer pour les sans-abris une carte d’identité bis ? » Pour Fathi Bouaroua, de la fondation abbé Pierre, « il y a de la part des collectivités locales, à commencer par les communes, la tentation non seulement de l’exclusion mais aussi de la criminalisation des plus pauvres ».
Absent des « Etats généraux » « parce que je n’ai pas envie de répondre quand la ville de Marseille est prise à partie », René Giancarli, le patron du Samu social à Marseille, lui, ne veut « plus entendre parler de ce dispositif. J’ai tout arrêté ». Quand on lui parle de la symbolique, cet ancien du GIPN explose : « Ces symboles, je les connais. Mon père est passé par les camps. A aucun moment, nous n’avons pensé à ce rapprochement. Et personne ne nous a interpellé à ce propos. Pour nous, ce triangle, c’était celui des panneaux "danger"… »
Sébastien Boistel