L’UHU de Marseille, la sale affaire qui colle à Gaudin
« On ne leur signe pas un blanc seing. » Deux mois après la polémique sur l’arrivée de l’association de médiation sociale (AMS) à la tête de l’unité d’hébergement d’urgence (UHU) de la Madrague Ville à Marseille, Xavier Méry, adjoint de Jean-Claude Gaudin à l’intégration et la lutte contre l’exclusion (27e sur 30), se veut rassurant.
Spécialisée dans la prévention de la délinquance et dirigée par un ancien flic, la structure fait pourtant l’unanimité contre elle auprès des associations du secteur. « Le travail de l’AMS pour assurer la tranquillité dans les trains, dans les bus ou sur les plages est reconnue. Mais elle n’a ni les compétences, ni le personnel pour assurer la gestion d’une UHU », tempête par exemple Fathi Bouaroua, directeur régional de la fondation Abbé Pierre. Sauf s’il s’agit seulement d’en « changer l’image » et « assurer la sécurité des personnes », comme le promet Xavier Méry.
Pour nombre d’acteurs sociaux, la décision de la ville et de la préfecture de retenir l’association de médiation sociale plutôt que de reconduire la Fondation de l’armée du salut (FADS), en place depuis 2011 et dont le travail est salué, valide surtout un traitement policier du sans-abrisme. Une vision déjà en cours à Marseille entre 2008 et 2011, sous l’Agence immobilière à caractère sociale (AICS), qui a précédé la FADS à l’UHU. « On a déjà connu cette criminalisation de la pauvreté, avec beaucoup de violences à l’entrée, un portique de détection des métaux, etc. », rappelle Jo Ponceau, actuel directeur de la Boutique solidarité à Marseille, un accueil de jour de la Fondation Abbé Pierre, et ancien de Médecins du monde. « A l’époque, les conditions d’accueil étaient sordides, inhumaines, il n’y avait quasiment pas de travailleurs sociaux », assure de son côté un bon connaisseur de l’unité d’hébergement, qui parle volontiers « d’univers concentrationnaire ».
Mais tout autant que « la criminalisation de la pauvreté », ce sont le retour de pratiques douteuses que craignent les acteurs de l’urgence sociale. Beaucoup estiment qu’avec l’arrivée de l’association de médiation sociale, c’est l’équipe de l’AICS qui est de retour aux manettes. De fait, Gilles Chalopin, directeur de l’UHU de 2006 à 2011, vient de reprendre les rennes de l’unité d’hébergement, sans que cela n’inquiète ni la mairie, ni la préfecture (1). Pourtant, son bilan est loin d’être glorieux. Après deux ans de gestion, l’AICS a été liquidée et affichait un déficit d’un million d’euros ! Le budget de gestion de l’UHU est à l’époque de 2,8 millions d’euros par an… « Il y a eu des erreurs de gestion manifestes, débranchées de la réalité, avec des salaires de 6000, 8000 euros pour l’équipe de direction de l’AICS », se souvient Michel Bourgat, adjoint à la lutte contre l’exclusion de Gaudin de 2008 à 2014, qui avait lancé l’audit de la structure à l’origine de la découverte du pot-aux-roses. Et de conclure : « Peut-être que l’association voulait trop se faire la vie belle. » Ou ses dirigeants se gaver sur la misère humaine…
Ce ne sont cependant pas les seules dérives de la gestion de l’AICS. Selon plusieurs témoins, les maltraitances et l’absence de respect envers les usagers y étaient courantes, mais également les magouilles et trafics en tout genres : « du commerce de chambres et de main d’œuvre » aux « détournements de fonds avérés », en passant par les recrutements politiques et leurs dérives (le cumul de contrats ou les journées de travail écourtées). « En plus d’être utilisés pour afficher durant les campagnes électorales, certains repartaient avec le coffre de leur voiture rempli de bouffe pour les SDF. Et qu’on ne me dise pas que ça ne se voyait pas ! », accuse également Jo Ponceau.
Les deux derniers adjoints à la lutte contre l’exclusion de Jean-Claude Gaudin jurent pourtant le contraire. S’il réfute toute « malversation financière », Michel Bourgat assure que Gilles Chalopin « a toujours fait du bon boulot ». « C’est un ancien commissaire, qui a défendu le droit. Je lui donne gage d’une certaine honnêteté », abonde son successeur Xavier Méry. Et d’insister : « J’ai interrogé Chalopin sur la maltraitance envers les hébergés. Il m’a répondu qu’il s’y serait opposé et que rien n’avait été prouvé en justice. » Si c’est lui qui le dit…
A sa décharge, le directeur du groupe scolaire privé La Trinité découvre tout juste les joies de sa délégation. Les révélations de Marsactu (07/01) sur l’ampleur des financements reçus par l’AMS de la ville l’ont un peu surpris. L’association est en effet très en cours à Marseille : en 2014, elle a reçu 469 000 euros de la mairie pour des actions de prévention de la délinquance ou de médiation aux abords des écoles. A cela, il faut ajouter, selon nos confrères, les financements de l’Etat au titre des emplois aidés et le marché de médiation pour le compte de la RTM remporté en 2010 (2,4 millions d’euros). Mais aussi les 712 275 euros du conseil général des Bouches-du-Rhône pour des actions similaires autour de collèges de Marseille qu’ils ont oubliés. « A la mairie, en haut lieu, les gens n’avaient pas l’air de connaître l’association au moment de la polémique sur l’attribution de l’appel à projet de l’UHU. Mais quand j’ai lu l’article, ça a donné du poids au fait que l’AMS est bien traitée », reconnaît finalement Xavier Mery. C’est le moins que l’on puisse dire.
Et c’est visiblement une tradition avec les gestionnaires de l’UHU. « Il y a toujours eu des liens forts, note Michel Bourgat. L’AICS était par exemple plutôt bien en vue à la mairie. » Ces liens sont même parfois un peu trop forts. « Gaudin a enlevé la délégation à mon prédécesseur parce qu’il aurait fait rentrer des gens à lui à l’unité d’hébergement », rappelle en souriant l’ancien médecin.
S’il y a une volonté de la part du sénateur-maire UMP de Marseille de surveiller (et punir) la grande pauvreté, comme l’estiment certains, cette grande proximité entre la mairie et l’UHU, et ses délégataires, pourrait expliquer pourquoi il finance une UHU (et un Samu social) alors que c’est la compétence de l’Etat, comme beaucoup s’en étonnent. Au vu du piètre état des services publics de la ville, difficile de leur donner tord.
Jean-François Poupelin
1. Contactés, la préfète à l’égalité des chances et la fondation de l’armée du salut n’ont pas répondus à nos sollicitations.