le Ravi crèche dans l’urgence sociale
Il n’y a pas que les dessinateurs qui meurent injustement cet hiver. Avant que l’émotion ne submerge le pays après le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, les journaux s’indignaient, à bon escient, suite au décès successif de six personnes sans domicile victimes de la dernière vague de froid. Et la presse de questionner les politiques publiques en faveur des plus démunis ; et l’Etat de rappeler que l’effort financier pour l’accueil d’urgence a doublé depuis 2006 ; et les associations, une fois de plus, de marteler qu’on ne meurt pas dans la rue qu’en janvier, de rappeler que les dispositifs d’urgence, face à la massification de la précarité, ne sont pas une réponse efficace et pérenne pour régler le problème de la grande exclusion.
L’application du droit fondamental à la santé pour les plus démunis : tel était justement, fin 2014, le sujet de la deuxième édition des Etats généraux de l’urgence sociale en Provence-Alpes-Côte d’Azur qui se sont tenus, le 9 décembre dernier, à Aix-en-Provence (13), à l’initiative de la Fnars Paca, de la Fondation abbé Pierre et de l’Uriopss-Paca (1). Le constat initial est plutôt sombre dans l’une des régions les plus inégalitaires de France où 9 % de la population doit se contenter des minima sociaux. « Les temps sont durs pour l’action sociale, déplore Serge Davin, le vice président de l’Uriopss-Paca. Le contexte général est celui du désengagement des pouvoirs publics mais aussi d’un climat délétère. Alors que l’Etat providence est remis en cause, l’idée progresse que les plus pauvres sont responsables de leur situation. »
Avant d’aborder frontalement le sujet de « l’accès à la santé » – en ateliers thématiques et en se penchant sur les spécificités locales à Marseille, Nice, Toulon, Avignon et Aix-en-Provence – les travailleurs sociaux et acteurs associatifs ont pris acte de la nécessité de relancer une dynamique collective afin de lutter contre les idées fausses et quelques tendances fâcheuses. « A Marseille, il y avait eu l’arrêté anti-mendicité, puis la ville a confié la gestion de la Madrague, l’Unité d’hébergement d’urgence, à une association n’ayant pas grand-chose à voir avec la prise en charge des personnes en difficulté puisque son objet est à l’origine la lutte contre la délinquance, regrette Serge Davin. L’épisode nauséabond du triangle jaune qu’on a voulu imposer aux SDF a renforcé le sentiment qu’on stigmatise une population. »
La Fondation abbé Pierre, avec la Fnars et Médecins du Monde, a bataillé pour rendre visibles les déplorables conditions d’accès à l’eau dans une capitale régionale dépourvue de douches publiques et équipée seulement de sept WC publics, payants de surcroît. « Malgré quelques rares rencontres avec les élus, rien n’a avancé sur ce point, dénonce Fathi Bouaroua, directeur régional de la Fondation abbé Pierre. Nous assistons par ailleurs à une criminalisation de la pauvreté. Cela choque parfois quand nous employons ce terme pourtant fréquemment utilisé dans les pays anglo-saxons où l’on constate le même phénomène. » Alors que la santé est un élément essentiel pour espérer sortir les personnes de la grande précarité, les acteurs sociaux et associatifs peinent à faire entendre leurs préconisations : simplifier les démarches administratives, combattre la coupure entre le sanitaire et le social, deux mondes qui se sont encore plus éloignés avec les réformes pour réduire les dépenses publiques (RGPP).
« Nous avons souvent du mal à travailler avec les hôpitaux, les médecins, souligne Sylvain Rastoin. La santé est pourtant le premier élément fondateur de l’insertion. Les programmes d’accès aux soins des plus précaires sont peu développés. » Et le vice président de la Fnars-Paca, devant une salle comble, de s’étonner : « Nous avons dû refuser du monde pour cette deuxième édition mais il y a de grands absents, comme la direction territoriale de l’Agence régionale de la santé. » Les Etats généraux de l’urgence sociale sont nés pour « reprendre la parole » selon Fathi Bouaroua. « Depuis quelques années, nous répondons à des appels d’offres des pouvoirs publics en partant moins des nôtres qui répondent pourtant directement aux besoins des personnes, explique-t-il. Ici nous ne sommes plus des exécutants. On fait de la politique. »
A l’issue d’une journée riche en échanges, des recommandations concrètes en faveur de bonnes pratiques, ont été formulées : mieux sensibiliser les personnels médicaux sur les problématiques spécifiques des grands exclus, formaliser plus systématiquement des réseaux santé-précarité, travailler sur « l’aller vers » les sans domiciles, mieux prendre en compte la parole des personnes accompagnées, présentes dans tous les ateliers… « Il faut mettre le pied dans la porte pour tenter de l’ouvrir car les décideurs ne semblent pas très disposés à se mobiliser pour prendre en main la santé des précaires », juge Sylvain Rastoin. Et de conclure : « Il va falloir arrêter de murmurer et qu’on apprenne à hausser le ton pour s’exprimer de plus en plus fort ! ».
Michel Gairaud
1. Fnars (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale) ; Uriopss (Union nationale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) ; Fondation abbé Pierre pour le logement des défavorisés