Cogestion et FO semblants
« Je voudrais que l’histoire retienne qu’avec le personnel municipal, j’aurai sans doute été le maire le plus généreux. » Et si, pour une fois, Jean-Claude Gaudin, l’ancien prof d’histoire, ne tordait pas la réalité ?
Le sénateur-maire UMP de Marseille depuis 19 ans sait effectivement se montrer « généreux » envers ses agents. Depuis 2001, par exemple, grâce aux lois Aubry, ils ne travaillent que 32 heures par semaine. C’est savoureux venant d’un élu dont le parti réclame la fin des 35 heures et ça n’est pas très légal, comme le lui a encore rappelé la Chambre régionale des comptes (CRC) dans son dernier rapport (octobre 2013), qui chiffre la mesure à « 10 millions d’euros par an ». Mais on est « généreux » ou on ne l’est pas ! Idem pour les rémunérations annexes, le régime indemnitaire et les primes diverses et variées qui complètent les salaires dans la fonction publique : de 2008 à 2013, Gaudin les a augmentés de 20 %. Dernier exemple, le ticket resto : 7 euros à Lyon, 8,50 euros à Marseille.
Cette générosité de Jean-Claude Gaudin n’est cependant pas totalement désintéressée. Voté en avril, au lendemain de sa réélection, le dernier coup de pouce au ticket resto est, par exemple, un cadeau de remerciement aux territoriaux Force ouvrière, « syndicat majoritaire » à la ville, qui en avaient fait la demande en début d’année et n’ont pas ménagé leur peine pendant la campagne électorale, notamment en publiant un tract incendiaire contre le socialiste Patrick Mennucci. A Marseille, la cogestion que nous avons notamment décrite dans deux enquêtes coproduites avec Mediapart (le Ravi n°94 et 95), a donc aussi du bon. Et FO, ne manquera certainement pas de le rappeler à ses troupes d’ici le 4 décembre, date des élections professionnelles dans la fonction publique territoriale (1).
Gaudin champion de la précarité
Les chiffres ne sont cependant pas tous favorables à Gaudin et « au syndicat majoritaire ». La dernière synthèse du Centre national de la fonction publique territorial (CNFPT) sur l’état des collectivités territoriales (2) est en effet loin d’être élogieuse pour Marseille. Malgré le grand bond en avant des indemnités, la mairie n’est finalement pas très généreuse au regard des communes de 100 000 habitants et plus, la catégorie de la deuxième ville de France. Dans ces dernières, les différentes indemnités représentaient 20,4 % de la rémunération totale des agents titulaires en 2011, dernière année connue, mais ne pesaient que 14,03 % à Marseille (14,83 % en 2013). Pire, elles y sont inégalement partagées. Selon les comités techniques paritaires, l’augmentation du régime indemnitaire [58 % des rémunérations annexes en 2013, Ndlr] est chaque année plus favorable aux cadres. En pure perte ? « Personne ne leur demande plus de travailler, il y a un relâchement phénoménal, dénonce Pierre Godard, du SDU13-FSU. Les plus anciens ont honte. »
Mais c’est surtout en matière de précarité que Jean-Claude Gaudin se distingue. Alors que dans les collectivités de même strate, les non titulaires représentent 28,4 % des effectifs, à Marseille, c’est carrément 32,8 % ! D’après les chiffres de la CRC (3), ces emplois ont flambé de 2000 entre 2005 et 2011, passant de 3 578 à 5 636, alors que les effectifs des titulaires sont restés stables, autour de 11 500. « La vraie spécificité de Marseille, c’est la précarisation, assure un fonctionnaire. Alors que dans les autres villes, la majorité des non titulaires sont contractuels, à Marseille ce sont des vacataires, des précaires, entrés par la bonne grâce d’élus pour 400 euros ou 600 euros par mois. » Avec, pour certains, une ancienneté de 20 ans. Ce qui n’a pas l’air de déranger FO : il a fallu la menace d’un recours du SDU13-FSU devant le tribunal administratif pour que la ville titularise 340 vacataires en juin 2013 (4).
Fo pas pousser
Une précarité que subissent également les services publics marseillais. Ecoles, équipements sportifs, crèches, musées, bibliothèques etc., sont sous-dimensionnées, vétustes, parfois inexistants dans certains secteurs de la ville, en manque de moyens humains et financiers. Extrait du dernier rapport de la chambre régional des comptes : « Pour approcher une couverture comparable par habitant à celle de Paris, Lyon ou Lille, Marseille aurait à tripler le nombre de ses bibliothèques. » Un an plus tard, la situation s’est dégradée : depuis la rentrée, quatre des huit bibliothèques du réseau municipal ont réduit leurs horaires d’ouverture faute de personnel (Marsactu, 9/10).
FO s’en est ému dans un tract, dénonçant comme il le fait souvent auprès de ses adhérents le manque d’effectifs dans les services. Ce qu’il fait cependant moins devant Gaudin. En 2008, à quelques semaines des élections professionnelles, le syndicat majoritaire réclamait dans la presse l’intégration de 600 vacataires (La Marseillaise, 11/10/2008). Réponse du maire, qui venait de recevoir une délégation FO : « Ils ne m’en ont pas parlé. »
Jean-François Poupelin
1. Contacté, FO n’a pas donné suite.
2. www.cnfpt.fr.
3. Dans ses bilans sociaux, la mairie n’annonce curieusement que les effectifs titulaires.
4. On peut ajouter à la liste les plaintes pour harcèlement moral (le Ravi n°119).
Cet article a été publié en novembre 2014 dans le Ravi n°123. [Résultats des élections professionnelles à Marseille, par ici.->http://destimed.fr/+Ville-de-Marseille-Resultats-des+]