Centre social tu perds ton sang-froid
«Mon fils est devenu boulanger, ma fille aide-soignante. J’étais mère isolée quand j’ai connu le centre social. Sans eux, je ne sais pas ce que l’on serait devenu aujourd’hui. » En ce début octobre, devant la préfecture des Bouches-du-Rhône, des mères de famille et leurs enfants sont venus soutenir les centres sociaux du département qui manifestent contre le nouveau redécoupage de la politique de la Ville voulu par le ministre socialiste François Lamy qui enterre le contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) et les financements qui vont avec. Comme un millier au niveau national, dont une dizaine dans les Bouches du Rhône, le centre social Mer et Colline situé dans le 8ème arrondissement de Marseille, sort du dispositif de la politique de la ville, car n’étant plus considéré comme « travaillant sur des groupes prioritaires ». Soit environ une perte de subventions de 150 000 euros par an pour la structure et des emplois menacés. Situé dans la cité de la Verrerie, îlot de pauvreté dans les quartiers sud et aisés de Marseille, Mer et Colline existe depuis 30 ans et accomplit un travail social apprécié des élus locaux de tous bords. « Ce centre est très actif et la disparition des subventions de l’Etat va entrainer une énorme perte en terme d’offres d’activités pour les jeunes ce qui va créer oisiveté et désœuvrement », note Yves Moraine, maire de secteur UMP, qui a envoyé un courrier au ministère avant l’été pour alerter sur les conséquences d’un tel redécoupage et qui n’a surtout pas envie de voir des jeunes zoner en « tenant » les murs des beaux quartiers ! L’avoir dans l’Cucs
En revanche, pas de soutien du maire de secteur passé FN, Stéphane Ravier, pour le centre social La Garde à la Rose (13ème) qui sort lui aussi du dispositif pour une partie de son action puisque la cité de La Garde (1500 habitants) n’est plus considérée dans le périmètre prioritaire. Le centre devra donc justifier à quelle population est destinée son action, de quoi s’arracher les cheveux ! Sous le prétexte de redistribuer les subventions pour plus d’égalité, l’Etat semble en oublier l’objectif premier, la mixité sociale, en renvoyant la pauvreté dans ses quartiers. « L’enfer est toujours pavé de bonnes intentions », ironise Belkacem Medjahed, directeur de Mer et Colline. Le 2 octobre, l’Union départementale des centres sociaux devait être reçue à 9h par la préfète déléguée (1) et s’était rassemblée dans ce but en tout début de matinée : « Finalement, on vient de nous dire que l’on serait reçu dans l’après-midi et par un chargé de mission ! Si ça, ce n’est pas du mépris ! », s’énerve Laurence Vogt, directrice du centre social des Lierres (Marseille 12ème) qui risque de perdre 130 000 euros et 6 emplois dans quelques mois. A l’issue de la rencontre, ils apprendront que certains territoires sortants pourront faire l’objet d’une « veille active », dont ils ne connaissent, à ce jour, ni les tenants ni les aboutissants, et qui dépendra du bon vouloir des collectivités.
Au niveau régional, c’est dans les Alpes Maritimes qu’il y a le plus de communes éjectées de la politique de la ville pour une seule entrante. Le Var, par contre, n’enregistre aucune entrée mais deux sorties, dont une à St Maximin la Sainte Baume. Maurice Zodi, directeur du centre social Martin-Bidouré, s’inquiète de voir disparaître l’espace éducatif financé par la politique de la ville qui emploie un permanent et deux vacataires et dont fait partie un pôle important : l’accueil des étrangers. « Ça signifie la suppression de la première marche vers l’insertion », note Maurice Zodi. Qui au-delà de ce redécoupage, tire la sonnette d’alarme : «Tous les financements baissent, en quatre ans la dotation du conseil général est passée de 95 000 à 69 000 euros, le pire c’est la Caf avec moins 20 000 euros en deux ans ! Beaucoup de mairies, FN ou pas, se désengagent ou donnent moins pour garder leur électorat qui bien souvent pense que les centres sociaux ne sont destinés qu’aux noirs et aux arabes. »
Asphyxier pour mieux régner !
Cette pensée s’accorde bien aux villes FN… A Fréjus, on compte actuellement trois centres sociaux. Et pour un maire d’extrême droite, c’est beaucoup trop ! A peine élu, David Rachline a baissé de 480 000 euros la subvention municipale allouée aux trois centres. Pour couronner le tout, à compter du 31 décembre, celui des Tournesols dans le quartier Villeneuve, seul centre à avoir obtenu un renouvellement d’agrément CAF pour 4 ans, se verra retirer le local municipal qu’il occupe. C’est sa directrice, Sandrine Montagard, que le maire (1) pointe du doigt, l’accusant de prendre des positions politiques dans la presse nationale faisant référence à un article du Monde. « Il accuse le centre social de faire de la politique socialiste, ce qui bien sûr est interdit par la charte des centres sociaux, note Sandrine Montagnard. Mais on est apolitique, c’est une rumeur qu’il fait circuler pour trouver une raison à la fermeture de ce centre social. » La directrice, obligée de supprimer des emplois liés à la baisse des subventions, doit aussi chercher un nouveau lieu d’accueil pour janvier. Le projet de Rachline serait de récupérer les locaux de 400 m2 pour en faire une maison de quartier et y remettre des policiers municipaux… Du social version FN ! S’attaquer au centre qui a les reins les plus solides, n’est pas anodin : les deux autres n’ont l’agrément de la Caf que pour un an, le maire espère les voir couler d’eux-mêmes…
Ce scénario-là, Line Séguret le connaît bien, ça fait 20 ans que le centre social Oustau de L’Aygues d’Orange dont elle est présidente (sur)vit avec une mairie d’extrême droite qui a commencé par couper les subventions et fait mourir à petit feu les deux autres centres sociaux « qui contrairement à l’Oustau, en place depuis 15 ans, n’avait pas de militants chevronnés pour lutter ». « De toutes façons, on fonctionne à minima, ajoute-t-elle. Mais les aides des communes, ce n’est pas que sonnant et trébuchant, c’est tous les services qui vont avec, la mise à disposition de barrières, de la police municipale, de l’électricien de la ville qui vient changer une ampoule. Au lieu de ça, on nous interdit de participer à la journée des associations. »
« Plus personne ne partage les valeurs de la République, la démocratie, la solidarité et le vivre ensemble car ça gonfle tout le monde !, s’indigne Maurice Zodi. On est dans une logique purement économique et financière. Même les hommes politiques et les gens de terrain dans les administrations qui devraient partager ces valeurs, n’en ont plus rien à cirer des projets des centres sociaux. » Pour le directeur du centre social Martin-Bidouré les centres sociaux tels qu’on les connaît aujourd’hui seront bien morts d’ici 10-15 ans : « L’avenir c’est qu’on soit des grosses DSP (délégations de service public), autrement dit sans projets d’habitants, sans valeurs, sans contre-pouvoir. Et si on fait ce qu’on nous dit, on aura plein de moyens ! »
Samantha Rouchard
1. David Rachline et la mairie de Fréjus n’ont pas répondu à nos demandes d’entretien.