Haut les mains ! le Ravi en maillot de bain
Onze ans, les deux bras en l’air, à force, ça ankylose. Les articulations fatiguent, les musclent faiblissent et il faut vite abandonner la métaphore arthritique pour en venir à la réalité des faits et des chiffres. Depuis la fin du mois de novembre, le Ravi est en redressement judiciaire. Ce nouvel état du canard qui ne baisse pas les bras est d’abord un choix de l’équipe du Ravi et des administrateurs de la Tchatche, l’association qui l’édite. C’est aussi le fruit d’une décision judiciaire, rendue publique le vendredi 28 novembre par laquelle notre demande de mise en redressement judiciaire est acceptée.
Cette décision lourde de sens nous souhaitons la vivre comme une chance pour le Ravi et l’association la Tchatche qui l’édite. D’abord, le redressement évite de passer par la case liquidation. Celle-ci aurait pu être prononcée par le juge à l’issue de l’audience au cours de laquelle les administrateurs de la Tchatche, le rédacteur en chef du Ravi et deux représentants des salariés ont expliqué comment la structure était arrivée à la situation de cessation de paiements et comment ils ont continué à assurer son redressement.
Nous avons déjà détaillé ces raisons dans le précédent numéro du Ravi (lire le texte « mourir guéri ? »). Notre modèle économique repose sur le soutien des lecteurs et abonnés du journal. Votre fidélité a été essentielle mais elle ne suffit pas. Pour cette raison, l’équipe du Ravi et les administrateurs de la Tchatche ont décidé depuis plusieurs années d’élargir leurs activités en proposant des actions d’éducation populaire, notamment via des ateliers d’initiation au journalisme, des partenariats avec des associations de l’économie sociale et solidaire et un travail de mise en réseau des journaux qui, comme nous, défendent un modèle de presse pas pareille.
Ravis mais pas naïfs
Pour nous, ce travail relève de l’intérêt général. Comme il est d’intérêt général de faire vivre un regard journalistique différent dans un monde médiatique dont la crise a pour première effet de réduire son pluralisme. Parce que cette notion d’intérêt général est au centre de notre travail, nous avons sollicité les collectivités locales à la fois pour qu’elles financent les actions éducatives là où elles sont compétentes et pour qu’elles soutiennent le projet du Ravi sur la durée. Nous avons beau être le Ravi, nous n’en sommes pas naïfs pour autant. Nous savons que cette relation est également synonyme de dépendance à l’égard de ces institutions. Il suffit que l’une d’elles décide de cesser son soutien et la situation de la Tchatche comme celle de nombreuses associations du champ social ou culturel se retrouvent fragilisées.
Notre modèle économique est peut-être fragile, il a néanmoins convaincu le procureur et le juge. Il y a une vraie chance de redresser la situation financière de l’association durant les six prochains mois. Durant cette période, les 55 000 euros de dettes contractées notamment vis-à-vis des salariés et de l’Urssaf seront gelés. Les salaires seront pris en charge par le fonds de garantie. Un administrateur judiciaire a été nommé. Dorénavant, c’est avec lui et le mandataire financier que toutes les décisions économiques seront prises.
Une asso des Amis du Ravi
Tout n’est donc pas rose au-dessus du bonnet rouge. Pour redresser la barre, il va falloir faire des économies en réduisant notamment le nombre de salariés. Piges, CDD, contrats aidés, comme toutes les associations, la Tchatche jongle avec les dispositifs d’aide à l’emploi pour permettre à ceux qui y travaillent d’en vivre chichement mais à peu près décemment. En 2014, le choix de conserver des salariés qui bénéficiaient jusque-là de contrats aidés a contribué à alourdir nos charges. Mais c’est un choix que nous assumons.
Si le Ravi a pu tenir toutes ces années, c’est justement grâce aux sacrifices consentis par ses salariés. Cela rend d’autant plus douloureuses, les décisions qui devront être prises dans les prochaines semaines. Réductions de piges, fin de CDD, licenciements… Tout ça sans perdre de vue les sacrifices consentis et garder un souci constant de justice et d’équité. Le Ravi ne baisse pas les bras mais il se prend un peu la tête quand même.
Les nuages noirs ne sont pas écartés. Le conseil d’administration de la Tchatche et l’équipe des salariés, ont mis sur pied un plan de redressement qui permet d’espérer. Cela n’écarte pas complètement le fantôme aqueux de la liquidation. Car tout repose sur l’énergie collective que le Ravi peut fédérer. Celle des salariés déjà fort mise à contributions, des bénévoles et de vous, lecteurs, fidèles ou plus versatiles, qui croyez dans la nécessité d’avoir un petit Ravi au milieu des autres colosses aux pieds d’argiles de la crèche médiatique. Des amis du Ravi sont en train de donner naissance à une association du même nom. Celle-ci doit contribuer à faire vivre le journal dans les mois et les années qui viennent.
Car les idées ne manquent pas pour continuer à imaginer cette aventure dans la durée. Etre dans le dur, cela oblige à se réinventer. On imagine ainsi faire évoluer la structure vers d’autres types de modèles, réfléchir à un Ravi, plus gros, plus beau, plus chaud. Nous imaginons aussi un rapport différent entre le journal papier et son versant numérique. Nous continuons à défendre un modèle basé sur la lenteur, en opposition avec la course effrénée à l’information qui est dans l’air du temps et conduit à ne rien approfondir. Nous voulons prendre le temps d’enquêter, de construire un beau journal qui vous offrira de beaux temps de lecture. Pour cela, il nous faut trouver le temps de vivre.
la Tchatche