Quand Facebook a du bon
En février 2012, une vague de froid submerge la France. Le Samu social est débordé et des sans-abri meurent dans les rues. Brann du Sénon, ancien SDF vivant désormais à la campagne, décide d’installer des caravanes sur son lopin de terre de Seine-et-Marne et d’y accueillir ceux qui ont besoin d’un toit sur la tête et d’un plat chaud. Avec Cédric Leret, lui aussi ancien SDF, via une page Facebook ils proposent à tout un chacun d’en faire autant : le 115 du particulier est né.
« On n’a pas sollicité les gens pour leur argent mais pour intervenir dans leur quotidien, en proposant une couverture, un coin de canapé, un bout de pain, sachant qu’un bout de pain plus un bout de pain ça fait à bouffer pour une famille, note Brann du Sénon. Car ça ne change pas grand-chose de faire une gamelle pour un ou pour deux. » Un endroit où dormir et un ventre plein c’est le début d’une reconstruction : « Une fois que l’on a ça, on peut enfin se projeter sur autre chose. » Avec les années, il a vu naître une nouvelle misère, celle des travailleurs pauvres, ceux qui ont un emploi mais pas de quoi se loger et sont obligés de dormir dans leur voiture.
Bienvenue chez moi
« On n’oblige personne à ouvrir sa porte, et ceux qui le font sont des gens modestes. Un accueil est rarement innocent et bien souvent il donne lieu à de très belles histoires. » Brann cite le cas d’un jeune ingénieur, sans emploi et à la rue, qui a retrouvé un toit et un boulot, et parfois même des histoires d’amour qui finissent en mariage. Et de rajouter, lucide : « Il y a aussi de vilaines histoires car dans l’humain abîmé parfois certains comportements se détériorent avec l’exclusion et on a automatiquement des réactions de survie qui ne sont pas raccord avec les règles de la société. Mais c’est aussi une manière de montrer qu’on existe. »
Nombreux sont les travailleurs sociaux dépassés par les événements qui se tournent vers le 115 du particulier pour palier le manque de solutions. Loin d’en tirer une quelconque fierté, Brann de Sénon s’inquiète de voir le nombre de SDF augmenter d’année en année ainsi que le nombre de morts (461 en 2012 et 477 en 2013) face à des pouvoirs publics qui ne réagissent pas. « Il y 2 millions de logements vacants en France, si on divise par le nombre de sans-abri, ça donne trois logements par personne ! Comment à travers ça, ne pas déceler une volonté de laisser les gens dehors ? » Après deux ans d’existence, le 115 du particulier est désormais une association et a un site internet grâce auquel hébergeurs et hébergés entrent en contact directement. Brann traite entre 50 et 100 appels par jour et accueille toujours autant de monde sur son terrain rebaptisé « le village du 115 ». Les Restos du cœur devaient durer un hiver, ils existent depuis presque 30 ans… Il y a fort à parier que le 115 du particulier a malheureusement de belles années devant lui…
Samantha Rouchard
La photographie de Brann du Sénon a été réalisée par Marc Chaumeil pour Libération