Construire pour se reconstruire
C’est une maison bleue, adossée à la colline, on y vient à pied, ceux qui vivent là ont jeté la clef… Au village Emmaüs Lescar Pau, les maisons sont plutôt colorées et un peu biscornues mais l’esprit « on se retrouve ensemble après des années de routes » est bien là. Dans cette communauté Emmaüs du Béarn (64) – la plus grosse de France – qui accueille depuis trente ans des écorchés de la vie, des êtres laissés au bord du chemin, mais aussi des gens qui refusent de se plier au dictat de la société, peu à peu les 80 mobil-homes laissent place à des maisons en éco-construction jusqu’à donner vie à un vrai village, avec une épicerie, une déchetterie et même une mairie.
L’humain avant tout
Pour Cécile Van Espen, chargée de la communication « l’éco-construction n’est que le développement logique de tout ce qui a été fait jusque-là ». Les terrains qu’ils occupent ne sont pas en zone constructible et ils n’ont qu’un accord tacite de la préfecture. « Mais ici l’administratif nous fait suer et, quand on décide de faire quelque chose, on commence dès le lendemain, on ne s’embarrasse pas de la paperasse. On n’a pas le temps. » Et si le village est indépendant à 100 % (1) et s’autofinance grâce au dépôt de marchandises et à leur revente, il est aussi avec le temps devenu l’un des partenaires privilégiés des collectivités grâce à l’accueil des sans-abri qui quittent le RSA pour s’installer là mais aussi grâce à sa recyclerie. « Nous sommes clairement des désobéissants, mais on ne peut pas faire sans nous ! », précise la chargée de com.
L’atelier de construction se fait en interne, et le futur locataire, tiré au sort lors du conseil municipal participe à l’élaboration de sa maison à hauteur de ses capacités et paie un loyer modeste. « On est dans un schéma de dynamique participative. La personne s’approprie son habitat, c’est une façon indirecte de se projeter dans le village et de s’inscrire dans un projet de vie. » La première maison est sortie de terre en septembre 2009, peinte en jaune et bleu, elle fut baptisée « le mistral » par Denis son locataire originaire du sud est. Actuellement, c’est une sculpture monumentale, « en chemin vers l’utopie », qui est en préparation et va devenir l’identité du village. 6 mètres de haut et 100 mètres de long représentant des silhouettes d’habitants ou de visiteurs convergeant ensemble vers le soleil couchant. « C’est avant tout l’humain qui est au centre de nos préoccupations. On essaie de construire autre chose, afin de montrer que lutter contre la misère, ce n’est pas seulement tendre la main. »
Samantha Rouchard