le Ravi cherche sa crèche
Avec Hollande, le changement se fait souvent attendre. Le 25 juin Sylvia Pinel, ministre du logement et de l’égalité des territoires, a confirmé l’application de la loi relative à l’accès au logement et à un urbanisme rénové (Alur), dite loi Duflot, adoptée en mars dernier, mais en concentrant finalement les aides prévues au bénéfice des professionnels du secteur. Exit donc, pour l’instant, deux dispositions emblématiques et chères à l’ancienne ministre écolo, qui devaient permettre de lutter contre les difficultés d’accès au logement : l’encadrement des loyers et la garantie universelle des loyers.
Pour Fathi Bouaroua, les réponses ne sont de toute façon pas adaptées au problème. « Il est systémique, c’est une question de répartition des richesses, souligne le directeur régional de la Fondation Abbé Pierre. Et tant que le logement, l’énergie, l’alimentation seront des produits marchands et de spéculation, on ira droit dans le mur. » Nouredine Abouakil, porte-parole de l’association marseillaise Un centre ville pour tous complète de son côté : « Quand on parle de difficulté d’accès au logement, on fait référence à des personnes qui sont prêtes à payer un loyer mais qui ne trouvent pas de logement, par manque d’argent ou à cause de discriminations. » Et Fathi Bouaroua de pointer un autre obstacle qui aggrave la crise du logement : « La frilosité à louer de certains propriétaires, en particulier les petits commerçants, dont le revenu dépend de locations. »
Pour le directeur de la Fondation Abbé Pierre, ces difficultés d’accès au logement ne se comprennent qu’à la lecture des politiques publiques menées depuis la fin de la seconde guerre mondiale. « Après avoir beaucoup construit, en 1977, l’Etat passe le relais au privé, poursuit-il. D’un produit de première nécessité (les loyers étaient contrôlés), le logement devient un produit de consommation courante. Puis, à partir de 1995, l’Etat choisit de faire des cadeaux fiscaux pour booster les constructions, les prix explosent, il y a des grues partout, mais pas pour construire des HLM ou des logements pas chers… » A ces choix politiques, s’additionnent quelques spécificités propres à notre belle région : des loyers hauts, 788 000 personnes vivant sous le seuil de pauvreté (dont 133 000 travailleurs pauvres) et 11,3 % de logements sociaux, alors que 75 % des habitants peuvent y prétendre. Beaucoup d’acteurs associatifs, à l’image de Nouredine Abouakil, estiment qu’il faut désormais « offrir une diversité d’outils avec la puissance publique comme locomotive ». Et ce même si certains de ces outils ont montré leurs limites. « Les allocations logement […] ne suffisent plus dans le privé, alors qu’elles coûtent 16 milliards d’euros par an. On gaspille ! », dénonce encore le directeur de la Fondation Abbé Pierre.
A rebours de l’adage qui veut que les journalistes ne s’intéressent qu’aux trains en retard et donnent toujours la parole aux mêmes, le Ravi a réuni de véritables « spécialistes » de la crise du logement pour faire entendre une nouvelle « expertise ». Pour l’occasion, « le mensuel régional qui ne baisse jamais les bras » s’est ainsi acoquiné avec un groupe d’habitants de la cité de La Viste et/ou usagers de son centre social (Del Rio), dans le 15ème arrondissement de Marseille, au nord de la ville. Une initiative déployée sous le nom de code de « Et si ? ». De début mai à fin juin, presque chaque semaine, se sont retrouvés pour un atelier de journalisme, participatif et créatif, onze personnes. Il y avait Mounia et Sonia, deux jeunes mères de famille, Adia et Shayma, deux collégiennes, Lise, venue par l’intermédiaire de la Fondation Abbé Pierre, Delphine, une ancienne salariée de l’espace lecture de la cité, Yohan, un des fils de Mounia, Yannick, un jeune en recherche de formation, et Aziz, le président de l’amicale des locataires du 38 La Viste. Sans oublier l’auteur de ces lignes et Linda, chargée de (beaux) projets du Ravi et de la Tchatche (retrouvez en dernière page « l’album panini » de la fine équipe). Objectif ? Coproduire tous ensemble ce supplément de 8 pages diffusé avec le numéro estival du Ravi et « tiré-à-part » pour une diffusion gratuite, s’emparer des enjeux, s’initier au journalisme, tout en posant un regard critique sur les médias.
Les trois premières séances ont été consacrées à la définition des sujets et des angles, choisis par vote après un grand remue-méninges. Finalement, sont sortis du chapeau trois sujets d’enquêtes : l’adaptation de l’application MySOS au logement d’urgence, les expériences de construction collective et celles des réquisitions publiques de logements. La rédaction du Ravi, pour compléter cette approche, s’est intéressée à d’autres sujets débattus au cours des ateliers : le clientélisme comme moyen d’accéder à un logement, l’auto-construction, les squats, l’internet citoyen… On s’est ensuite plongé dans les genres journalistiques, la recherche documentaire, l’interview, les prises de contacts, la préparation et la réalisation des entretiens, les règles de l’écriture journalistique, les choix d’informations et de citations… En résumé, une formation à une vitesse super-sonique ! Et même si ça a été « du boulot », on n’est pas peu fiers du résultat !
Jean-François Poupelin
Prochainement sur ce site la suite des articles de ce cahier spécial « Et si ? » réalisé par des habitants de la cité de la Viste…