« Du genre à ne pas avoir de genre »
Qui suis-je ? Quau siau ? Who am I ? Malgré les apparences, je m’en moque, je n’ai pas besoin de m’étiqueter, ni provençal ni autre. Mon régionalisme n’a rien de traditionaliste et de restrictif, c’est, tout comme ma région est une entité à part entière, un autre versant, complémentaire, de mon européanisme. J’habite un Midi universel, transméditerranéen et plus encore, où les aryens sont d’Eire ou d’Iran et les Maures mes ancêtres. Si on compte la nostalgie, au sens fort du terme, de la langue et d’une cortesia perdues, oui je suis occitan. En même temps, je voudrais être polyglotte. Du genre à n’avoir pas de genre. Lorsque, à la lisière de la jungle, des gamins d’une tribu me demandent comment c’est « chez moi », j’entonne parfois la Marseillaise. Je l’assortis du Coupo Santo, invoquant la cassure oïl/oc, que je tente (peine perdue car ils n’ont jamais encore bougé de leur village) d’expliquer par le biais d’un parallèle avec l’opposition dravidien/himalayen.
J’ai toujours fait preuve de tolérance à l’égard de toutes les croyances mais je crie quand, sous nos campaniles vacillant à la vue de nouveaux minarets, on recommence à vouloir nous faire prendre des santons pour des saints. Les néo-inquisiteurs bleus blancs roses, qu’ils soient en trois-pièces noir et lunettes noires ou en bermuda Ralph Lauren et espadrilles catalanes, sont, au fond, peut-être, ceux qui me repoussent jusque dans mon identité : comme la négritude a été donnée à Césaire et Fanon par leurs négateurs. Dans leur rurbanité bétonnée made in China & Tafta, les néo-provençaux déracinés, standardisés et hyperindividualistes me tendent le miroir devant lequel je beugle : ah, je blêmis de me voir si laid.
En bref, je suis et veux être d’aqui et d’ailleurs, tout à la fois calisson, bortsch et masala dosa. Le temps est venu, non plus de barrer et de s’abstenir mais de se rappeler que vivre, c’est vivre ensemble, et que vivre ensemble, c’est cocher. Choisir. Il existe assez de cases pour ce faire. Si j’ignore qui je suis, je sais fort bien qui je ne suis pas.
Bernard Turle
Autopsie d’une inquiétude ?, par Bernard Turle, éditions François Bourin, collection PsychoGéo, 150 pages, 15 euros.