Le Maghreb expulsé du port
Avec l’inauguration, en mai dernier, du centre commercial des Terrasses du Port, le « water front » marseillais poursuit sa mutation. Le projet stratégique de la nouvelle direction portuaire de Marseille pour 2014-2018 est à l’étude et ne sera publié qu’à la fin de l’année. Un des enjeux de cette feuille de route est de déterminer l’avenir des bassins proches du quartier de la Joliette, où les infrastructures culturelles et commerciales se multiplient pour attirer touristes et croisiéristes. Dans cet immense chantier politico-économique, articulé à l’opération Euroméditerranée, les aménageurs semblent vouloir faire le tri entre les passagers maritimes.
Ainsi, les navires en partance pour le Maghreb et le million de passagers annuel qu’ils représentent pourraient être transférés au nord, vers le cap Janet, au cœur du secteur logistique et industriel du Grand port maritime de Marseille (GPMM), à l’horizon 2018. Ces bateaux, à destination de l’Algérie et de la Tunisie, sont actuellement amarrés près du J1, le hangar qui fut un lieu d’exposition phare de l’année culturelle en 2013, et du nouveau centre commercial. Ils seraient donc « expulsés » plus loin du centre ville…
Voitures cathédrales
« On a les plus grosses difficultés lorsqu’un bateau débarque, le quartier est complètement engorgé de voitures, explique Lisette Narducci, maire PRG des 2e et 3e arrondissements de Marseille, ralliée à la majorité UMP de Jean-Claude Gaudin. Le déplacement vers le cap Janet peut être une bonne chose si les dispositifs nécessaires, et en priorité les transports et l’aménagement de l’accès, sont mis en place. Car la porte 4 est loin et débouche sur une route dangereuse. » Et de continuer : « Rien n’a encore été fait car rien n’est décidé. » Pourtant, le Tanit (CTN) et le Jean Nicoli (SNCM) y accostent depuis plusieurs années déjà…
Guy Teissier, le président (UMP) de l’agglomération marseillaise, avait, lorsqu’il était à la tête d’Euroméditerranée, exprimé son aversion contre le transit du petit peuple maghrébin et ses « voitures cathédrales tournant dans le quartier d’affaire en cherchant leur chemin ». L’argument avancé par le port pour justifier leur exode est plus concret en mettant en avant la taille des navires, la plupart du temps mixtes, c’est à dire transportant des marchandises en même tant que des passagers. La tendance étant à l’augmentation de la taille de ces bateaux, qui dépassent de plus en plus souvent les 200 mètres, le port aurait besoin pour les accueillir de quais plus adaptés que ceux existants autour du J1.
Bien sûr, l’espace laissé par les ferries maghrébins ne restera pas inoccupé : le port a lancé, en septembre dernier, un appel à projet pour accueillir dans les bassins libérés un pôle d’accueil hivernal pour yachts de plus de 60 mètres, activité plus en phase avec le standing exigé par les programmes immobiliers « Euroméditerranéens ». Quant aux étages du J1, entre les projets de casino et de boîte de nuit de luxe, rien n’est encore fixé.
Un argument pseudo-technique
« L’argument technique est un joli prétexte, estime Patrick Lacoste, membre de l’association Un centre-ville pour tous. Le transit vers l’Afrique n’intéresse pas la ville de Marseille, il ne correspond pas au projet touristique et immobilier du secteur. » Un secteur riche en infrastructures culturelles (Mucem, Frac, Fondation Regards de Provence) et commerciales (Terrasses du Port, et bientôt Voûtes de la Major et rez-de-chaussée des docks), ouvertement destiné à attirer touristes et croisiéristes.
Car la question de la taille des quais, valable pour le Maghreb, semble moins cruciale pour les navires à destination de la Corse. Ceux-ci sont actuellement dispersés en fonction de leur taille entre Arenc, du côté des Terrasses opposé au J1, et le Cap Janet. Or, la Charte Ville-Port, signée par le GPMM, la préfecture des Bouches-du-Rhône et les collectivités territoriales en juin dernier, préconise de les concentrer à Arenc, au plus près du secteur touristique et marchand, après que les quais des bassins aient été rendus aptes à l’accueil des bateaux de plus de… 200 mètres.
Jean-Marc Forneri, président du conseil de surveillance du GPMM a tenté de rassurer les partisans de la vocation industrielle du port de Marseille, le 23 mai dernier, en affirmant qu’il n’est « pas question que les bassins Est deviennent un Luna Park pour touristes en goguette ». Intention à laquelle ne croit pas Jean-Marc Coppola, vice-président (PCF) de la région Paca : « La municipalité veut dédier le port aux passagers au détriment de la logistique et des activités productives… » Selon lui, le premier résultat du déplacement des navires en partance pour le Maghreb au Cap Janet risque d’être l’engorgement de cette partie industrielle du GPMM. Un engorgement dont le port de Marseille pourrait sans doute se passer, lui qui a perdu cette année pour la première fois sa place de leader en Méditerranée.
Nicolas Puig