Interruption involontaire au planning familial
C’est mercredi, il fait chaud. Après avoir fait les cent pas devant le 106 boulevard National, dans le troisième arrondissement de Marseille, Louise s’est enfin décidée à pousser l’énorme porte grise du planning familial. Elle a 17 ans. Elle a fait un test de grossesse ce matin et il est positif. Aziza est le premier sourire qu’elle croise en entrant dans les locaux. Elle s’occupe du standard, du secrétariat mais surtout de l’accueil. Son bureau est joliment décoré et la lumière y est douce. Elle demande à Louise ce qu’elle veut faire. La jeune fille lance un timide « je ne sais pas ». « Beaucoup arrivent ici et veulent se justifier. On coupe court à tout ça. Et on leur dit juste qu’on sera là pour les soutenir quel que soit leur choix et que surtout ce choix leur appartient », précise Aziza. « Sexualité, avortement, attirances, violence… En parler sans être jugé », annonce une affiche sur le mur.
TOUJOURS MOINS D’ARGENT…
Voilà quatre ans et demi qu’elle exerce ce métier au sein du planning, mais dans quelques mois elle naviguera vers d’autres horizons. Aziza fait partie des départs volontaires liés aux problèmes financiers de la structure dont le bilan 2013 accuse 70 000 euros de déficit. « Il pourrait être ramené aux alentours de 40 000 cet été », note la directrice adjointe, Claire Ricciardi, loin de se réjouir de cette amélioration. Elle est d’autant plus remontée que le matin même est paru un article de Marsactu, le site d’info marseillais (1), pointant du doigt des dysfonctionnements en interne qui seraient à l’origine du déficit : départ de l’ancienne direction et manque d’un gestionnaire.
Claire Ricciardi ne nie pas la part de responsabilité du planning mais remet en cause aussi les baisses de subventions du Conseil général (238 000 euros en 2013 contre 192 000 en 2014). « On navigue à vue… Et il faut avoir fait HEC pour pouvoir compléter les demandes de subventions. C’est un vrai casse-tête. Notre rôle c’est d’accueillir des gens, pas de remplir des dossiers », ajoute-t-elle avant d’aller justement faire passer un entretien à un futur gestionnaire… Sur la toile suite à l’article de nos confrères, le débat est houleux. Sous couvert d’anonymat, pour certains « les subventions sont une aide pas un droit » et les associations devraient apprendre à s’en passer. D’autres glorieux internautes remettent en cause la politique du planning et l’accusent de « vivre au-dessus de ses moyens ». Notamment de privilégier l’emploi au bénévolat, d’avoir titularisé des emplois aidés et du même coup d’avoir perdu les exonérations de charges qui leur étaient liées…
Les difficultés financières ont de fâcheux effets : Aziza, formée et compétente à son poste, s’en va ; les permanences de la clinique Bonneveine notamment, et l’une des deux situées à Aix-en-Provence, ferment. Et pour la première fois, en 50 ans d’existence, le planning n’ouvrira pas ses portes à Marseille pendant dix jours, du 4 au 14 août. Pour Dominique, conseillère conjugale et familiale qui travaille au planning depuis 2010, cette fermeture peut être lourde de conséquences : « Ce qui est inquiétant c’est que l’été est la période des mariages forcés et beaucoup de jeunes filles viennent ici chercher de l’aide. Mais c’est aussi à ce moment-là que les médecins partent en vacances, le planning sert alors de relais pour une contraception. Idem pour les IVG dont le délai d’attente risque d’être rallongé si personne n’est présent pour répondre à une jeune femme en détresse… » Dominique tient notamment une permanence sur Aix et accueille des femmes qui souhaitent interrompre leur grossesse. « Nous faisons un travail d’écoute et d’accompagnement, pas de conseil. Nous posons la question "Comment vous vous sentez ?", c’est une porte ouverte, les femmes s’en saisissent ou pas. Mais c’est le seul moment où elles peuvent en parler. Et on prend le temps nécessaire pour ça. » Mais là aussi l’argent manque à l’appel…
…AVEC TOUJOURS PLUS DE PUBLIC.
« On ne naît pas femme, on le devient », indique une affiche dans la salle d’attente où Léa, 17 ans, patiente. Elle est venue sur les conseils de sa maman : « Ça la rassure que je passe par le planning pour ma première fois chez le gynéco. » Sur 30 salariés, le Dr Jean-Paul Lapierre est l’un des rares hommes de l’association – avec le président et le comptable. Médecin généraliste, il a fait une formation complémentaire en gynécologie et obstétrique. Semi bénévole, semi salarié à bas coût, il est présent en alternance un mercredi sur deux depuis dix ans. Ici la consultation n’est pas gratuite, mais on n’avance pas les frais. Et depuis que le planning est installé dans ce quartier populaire de Marseille, la clientèle s’est diversifiée.
Le Dr Lapierre reçoit toujours des jeunes filles désorientées, d’autres qui souhaitent juste une contraception, mais aussi, désormais, de plus en plus de femmes du quartier qui viennent pour un suivi car elles n’ont plus les moyens de payer les dépassements d’honoraires pratiqués par les gynécologues. Jusqu’à la restriction budgétaire de cette année, une conseillère conjugale et familiale était là pour l’épauler pendant la consultation. « C’est une aide précieuse. Car je suis un homme et avoir une femme à mes côtés pour la patiente, ça désamorce pas mal de choses, ça libère la parole aussi, note le médecin. Car la consultation ne donne pas lieu automatiquement à un examen gynécologique, mais c’est plus un moment d’écoute, durant lequel on transmet une information et où la personne peut aborder des problèmes autres comme la violence conjugale par exemple… »
Le planning familial de Marseille est l’un des plus importants de France et si l’accueil des femmes est l’une de ses activités principales, elle n’est pas la seule. Le planning intervient en matière d’éducation à la sexualité auprès des adolescents. Mais aussi auprès des enfants grâce à un « Programme de développement affectif et social » (Prodas) qui consiste à travers des cercles de paroles à apprendre à se connaître et à connaître l’autre pour mieux s’appréhender dès le plus jeune âge. Miléna, elle est responsable du projet « Handicap, vie affective et sexuelle ». Elle intervient dans les centres d’accueil pour personnes en situation de handicap. Un sujet difficile à aborder notamment avec les familles et qui demande du temps. « Lorsqu’une personne en situation de handicap fait la démarche de venir à nous de façon volontaire, c’est l’accomplissement d’une autonomie. Alors si on ferme des permanences, c’est comme si on substituait toute la finalité de notre travail. »
Il est 18 heures, le planning familial va fermer ses portes. Nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui redoutent que ce soit, un jour, définitivement…
Samantha Rouchard