Pacap’ ?!
Dans une ville comme Marseille où certains carnavals n’ont pas le droit de cité (comme celui de la Plaine, cf p.5), les défilés du 1er mai, eux, se suivent et se ressemblent. Bon, on exagère. Ça change. Désormais, il y a trois CNT. Et si, avant, c’était les autonomes qui défrayaient la chronique, là, ce sont les Raëliens, ces amateurs de svastika et de clones voulant faire trimer les robots pour en finir avec le travail.
Si le Ravi ne baisse jamais les bras, y aurait pourtant des raisons de le faire. Heureusement, on assiste, ne serait-ce que dans la cité phocéenne, à un fourmillement d’initiatives : ouverture de squats, bouffes de rue, multiplication des collectifs… « Mille Babords » est un bon observatoire puisqu’au-delà d’un agenda militant et de sa bibliothèque, cette médiathèque associative accueille une cinquantaine d’associations. Anticapitalistes, antifascistes, antispécistes… « Cela peut donner l’impression d’un morcellement, d’un éparpillement, admet Jérémy. Mais, même si tous les collectifs ne fréquentent pas Mille Babords, on cherche à tisser des liens entre les luttes. Avec, parfois, des convergences. »
Comme à la Caisse d’allocation familiale des Bouches-du-Rhône avec la fermeture des accueils. Alors que les usagers n’ont plus pour interlocuteur qu’une borne informatique et des vigiles, ce matin-là, devant la Caf, se retrouvent des agents en grève, des chômeurs encartés à la CGT qui, CV à l’appui, proposent à l’administration de les embaucher et des usagers qui, dans leur tract, précisent : « Même si nous nous méfions des syndicats, cette manifestation est l’occasion de nous retrouver pour nous organiser et construire un rapport de force. »
Renouveau dans la continuité
Si certains pensent qu’« un comité d’usagers, ça risque de faire double emploi », le renfort est apprécié. D’autant que, précise une syndicaliste, « la situation est explosive, car, avec la fermeture des accueils, les usagers se tournent vers les autres structures ». Ou grimpent sur les toits, comme au siège de la Caf, fin mai, provoquant l’intervention du GIPN : « On en avait marre de manifester devant des bornes informatiques, sourit Ben. Là, on a pu se faire entendre. On nous a même promis de régulariser nos dossiers. Sauf que ce que l’on réclame, c’est la réouverture des accueils ! »
Une convergence aussi rare que ce type d’action. « Souvent interrogé sur les nouvelles formes de mobilisation », le sociologue aixois Baptiste Giraud les juge « marginales, les formes restant classiques. Même les mobilisations patronales sont tout sauf nouvelles ». Ancien de la CGT Chômeurs, Charles Hoareau, acquiesce : « Je ne sais pas si ce sont les formes de lutte qui sont nouvelles ou ceux qui s’y investissent. » En tête ? Les précaires, les quartiers populaires… Mais aussi les CSP+, « comme avec Tafta, l’accord transatlantique. Si on retire les profs et les universitaires, c’est comme avec la constitution européenne, y a plus grand monde. Mais ça a le mérite de mobiliser des gens qui, d’ordinaire, ne le sont pas. »
Ce qui évolue, ce sont aussi les causes défendues. « On le voit avec le mouvement "slow food", », note l’anthropologue marseillaise Valeria Sinischalchi, interrogeant la notion de "food activism". Cette mobilisation, née en Italie suite à un scandale alimentaire et à l’arrivée du fast-food, a vite dépassé la simple question de la qualité de la nourriture. Au point qu’il est aujourd’hui difficile de séparer la question alimentaire de celle environnementale. Et les consommateurs des producteurs. » Des problématiques prégnantes ici car, si le « slow food » n’a guère pris (sauf à Gap), c’est en Paca que sont nées les fameuses Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne. « Or, poursuit Valeria Sinischalchi, dans une Amap, difficile de savoir si la démarche est individuelle – on y va parce c’est bon et pas cher – ou collective… »
Un guide pour les alternatives
Emblématique de ces luttes ad hoc ? La réappropriation festive d’une friche urbaine près du Cours Julien, à Marseille, le 1er mai, par le collectif Crue d’Air. « Un collectif informel qui, dans le prolongement des groupes de revégétalisation, s’est dit, face à ce terrain abandonné, qu’il valait mieux ne compter que sur nous-mêmes pour décider et faire », explique Thibault, fondateur, par ailleurs, du « Dar Lamifa », une salle qui, mêlant festif et militantisme, a pris en 8 mois du poids. « Peut-être parce qu’ici, ce qui manque, quand on a un projet, c’est souvent le lieu, et qu’on est justement un espace ouvert. »
Ce qui change, ce sont également les modes d’organisation. Illustration avec le mouvement Alternatiba, un forum pour promouvoir les alternatives et dont le succès, à Bayonne (plus de 10 000 personnes), en fait rêver plus d’un. D’où la volonté d’en voir fleurir partout. Et, pour cela, « est mis à disposition un guide méthodologique de 50 pages où tout est prémâché, de la lettre au maire à la typo du site web. Ça évite d’avoir à tout réinventer », s’enthousiasme Eric Faïsse, œuvrant pour qu’un Alternatiba se tienne l’an prochain à Martigues.
Comme le note le sociologue Baptiste Giraud, « on serait aujourd’hui, d’après les travaux de Jacques Ion, sur des formes d’engagement plus individuels, plus pragmatiques, moins sacrificiels. Avec un rapport plus distancié et la valorisation de causes moins "idéologiques"… » Mais, pour lui, ce serait oublier qu’on trouve, par exemple, « chez les altermondialistes des militants surinvestis venant souvent d’organisations plus traditionnelles et qui cumulent plusieurs engagements ». En témoigne, dans la région, la composition des comités de vigilance contre le FN (cf p.7). Ce serait aussi occulter des formes d’engagement plus radicales qui, quoique marginales, n’en sont pas moins vivaces. Comme autour des ZAD ou du mouvement squat. Avec des formes d’investissement plus « totales ».
Au point de se demander s’il n’y a pas, derrière certains engagements, une forme de dégagement. Comme par exemple avec le projet d’éco-village à Barret-sur-Méouge (dans le « 05 ») dans lequel Amélie s’investit : « Quand on a su que le centre d’éducation populaire du Barret, par lequel sont passées des générations de gosses des quartiers nord, fermait, on a décidé de quitter Marseille pour s’installer ici et faire revivre ce lieu. Pour certains, c’est un trou perdu. Pour nous, un endroit encore préservé. Et, même si on rêverait d’être auto-suffisant, on y a va pas à pas, l’idée étant d’en faire un lieu ouvert sur l’extérieur, pas replié sur lui-même. » Si les initiatives de ce type sont rares dans la région, c’est en Paca que le « la » a été donné avec Longo Maï, des communautés autosuffisantes mais résolument ouvertes sur l’extérieur.
In fine, la réflexion sur les formes d’engagement traverse toutes les organisations. Comme le résume Hervé Thomas, militant marseillais à Attac : « Aujourd’hui, on se fait chier en manif. Or, la lutte, ça doit aussi être festif. Et si on ne sort pas des formes traditionnelles, on ne s’en sortira pas. » Même constat avec Solène Clavel, du CCFD : « Pour sensibiliser sur des problématiques lointaines ou complexes, on doit vulgariser. Et se rapprocher des gens. Montrer que Notre-Dame-des-Landes, ce n’est pas qu’un problème local. »
Pour Thierry Del Baldo, du site « Plus belles les luttes », « la nouveauté, c’est peut-être qu’aujourd’hui, face au silence et au mépris, les salariés en lutte portent eux-mêmes des propositions et font le lien entre toutes les luttes. Chez les Fralib, on vous parlera aussi de Lyondellbasell, d’Ascometal. » C’est justement ce que vient de rappeler la bataille des Fralib, cette lutte hors norme qui a vu des salariés, face à une multinationale qui voulait fermer leur usine de thé à Gémenos (13), monter leur propre coopérative et faire feu de tout bois (occupation, boycott…) pour défendre leur savoir-faire et leur outil de travail : la lutte paie. Et ça, on l’avait un peu oublié.
Sébastien Boistel