Biomass’carade
« L’appel d’offre biomasse était une bonne chose, estime Jean Ganzhorn. C’était même intelligent, mais les multinationales pervertissent les bonnes idées. » Membre du collectif SOS Forêt 04, il s’oppose avec force (cf tribune dans le Ravi n°115) à la reconversion de la tranche 4 de l’usine thermique de Gardanne (13). Classé dernier sur les 15 projets reçus par la Commission de régulation de l’énergie, celui du groupe allemand E.ON a pourtant été retenu par le gouvernement Fillon, début 2012. E.ON peut ainsi, au grand soulagement des salariés de la centrale, reconvertir son appareil industriel sous couvert du développement de la filière biomasse-énergie, un des objectifs du Grenelle de l’environnement. Les travaux sont lancés en mai 2013 tandis que la contestation de la société civile, relayée par celle des collectivités locales, s’organise.
Biomass’todonte
Les détracteurs du projet ne manquent pas d’arguments. E.ON peut bien s’enorgueillir de réaliser la plus grosse centrale électrique de France à la biomasse, c’est justement le caractère démesuré du projet qui est pointé du doigt : un « biomass’todonte » qui devrait engloutir de 500 000 à 1 million de tonnes de bois d’ici 2025 – « un aspirateur à matière végétale qui est une véritable menace sur un périmètre de 400 km » s’insurge Pierre Honoré, président de la Charte forestière de la montagne de Lure. Pour les collectifs d’opposants, l’unité biomasse de Gardanne entraînera irrémédiablement la déstructuration d’une filière bois encore fragile.
La pression sur les prix met déjà en danger les petites chaufferies locales – une aurait déjà fermé – mais également les autres industries du territoire, notamment l’usine de pâte à papier de Tarascon (13). De plus, il faudra bien acheminer tout ce bois : des Pyrénées à la frontière italienne, des Alpes à la Corse, les pérégrinations de 200 camions par jour devraient alourdir un bilan carbone déjà bien entamé par une combustion d’un bois qui, à cette échelle, est tout à fait nocive. L’entretien des routes étant laissé aux frais du contribuable. Et, comme le bois provenant du quart du territoire français n’est pas suffisant, 335 000 tonnes devraient être importés de l’étranger – du Québec où les forêts primaires sont attaquées, et de l’Europe de l’Est – pour combler l’appétit de la centrale.
Des millions en fumée
Un appétit effréné pour une rentabilité discutée ; « à transformer le bois en électricité, on en perd les deux tiers », explique Jean Ganzhorn. L’unité de Gardanne ayant dérogé au principe de cogénération, une partie de la ressourcé ingérée ne servirait seulement qu’à chauffer l’atmosphère de la commune. Un gaspillage subventionné à plus de 70 millions d’euros par l’Etat ; « 1,5 à 2 milliards d’euros sur 20 ans », fustige François-Michel Lambert, député EELV des Bouches-du-Rhône qui compare qu’avec une telle somme, « chez Peugeot, on maintient 100 000 emplois. A Gardanne, c’est pour en sauver 160 ».
Des emplois encore menacés puisque les salariés et la direction sont embarqués dans un long conflit social : 3 mois de grève et une procédure de licenciement contre deux délégués syndicaux. La CGT, qui proteste contre l’externalisation d’une partie des activités de la centrale, continue pourtant de défendre le plan d’E.ON. « Nous ne marchons pas sur la tête, on ne va pas faire travailler les pères pour tuer les fils », souligne Muriel Martin, secrétaire générale de l’Union locale CGT de Gardanne, justifiant ainsi le caractère éco-soutenable de la reconversion. Nicolas Casoni, délégué syndical CGT de la centrale, sauvé du renvoi par une décision de l’inspection du travail, se défend d’être le « VRP du projet » mais reprend néanmoins certains arguments de son employeur. « Les opposants disent qu’on va déstructurer la filière bois. Or justement nous allons la structurer » explique-t-il, ajoutant que le syndicat reste soucieux des questions environnementales et se veut même force de proposition en matière de transport du combustible ou de récupération de déchets verts.
« Avec les aides publiques et le prix de vente de l’électricité, déjà garanti sur 20 ans, E.ON cherche encore à licencier : en réalité, ils ne veulent pas du projet mais juste du cash pour leurs actionnaires », fulmine le député Lambert. « Nous ne menons pas une bataille pour que l’actionnaire encaisse des dividendes, mais afin que l’argent public soit redistribué pour le social », rétorquent Casoni et la CGT, soutenue par la municipalité communiste de Gardanne. Une mairie qui, pour sauver bien légitimement des emplois ouvriers, défend les intérêts d’une multinationale dans un projet écologiquement controversé (1)…
Anne-Claire Veluire
(1) Malgré nos tentatives répétées, ni le maire de Gardanne ni l’un de ses adjoints n’ont pu être joints.