Mairies FN : le bal des hypocrites
Un peu d’outrance, d’amateurisme, quelques caméras avec, en toile de fond, une droite au mieux attentiste et une gauche oscillant entre vigilance et impuissance : tels sont les premiers pas de l’extrême-droite dans les villes conquises en Paca.
Marseille est un bel exemple. Mi-avril : le patron du FN 13, Stéphane Ravier, prend possession de la mairie du 13/14 où se côtoient, ce jour-là, police, frontistes et militants de gauche. Cocktail détonnant. Ravier, ravi d’avoir ravi au PS avec 15 000 voix un secteur de 150 000 habitants, a beau pavoiser en voyant « du bleu marine dedans, du bleu marine dehors », son intronisation est mouvementée. Et sur une Marseillaise censée couvrir les « Ibrahim Ali, on n’a pas oublié » de la gauche, le bras tendu d’un frontiste sera la provocation de trop : bagarre générale en plein conseil d’arrondissement !
Mais, au fond, le patron du Front s’en fout. S’il tient à peine ses troupes, il peut déjà compter sur la droite. « Si on s’était fié aux apparences, on n’aurait jamais mangé d’oursin. Tournez le dos aux préjugés. Travaillez avec moi », siffle-t-il. Chiche, répond l’UMP. Fustigeant les « gauchistes », les « clientélistes », Richard Miron assène : « Si je ne peux me féliciter de vous voir dans ce fauteuil, je suis heureux d’avoir participé à la mort politique de ces gens. » Garo Hovsepian, le maire PS sortant, explose : « Vous êtes un fasciste et, entre l’original et la copie, les électeurs ont choisi. » Alors, quand Samy Joshua, du Front de Gauche, assure à Ravier, Brecht à l’appui, qu’il échouera, le frontiste esquive : « Merci pour ce bond de 70 ans en arrière, les considérations de Brecht allant droit au cœur des habitants réclamant un emploi, un logement… »
Le Front « républicain »
« Nos moyens, nos pouvoirs sont limités », poursuit Ravier. D’ailleurs, quand on lui parle par exemple de l’éviction de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) à Hénin-Beaumont, il soupire : « Je n’ai, hélas, pas autant de pouvoir. Jusqu’à ce que ça change… » Ainsi, les 6 ans de gestion FN commencent par… un mariage gay ! Pour l’esquiver, Ravier prétexte la tenue, en mairie centrale, d’un conseil municipal : « J’peux pas être partout ! » A peine arrivé, celui qui promet de « travailler dans le cadre républicain mais sur les bases de nos propositions » s’échappe déjà.
D’autres seraient déjà en partance. Notamment des employés municipaux qui, dixit Hovsepian, auraient demandé « à être mutés », le syndicaliste (SDU) Pierre Godard, craignant, lui, pour les « vacataires ». Surtout avec un maire qui veut « faire des économies ». En attendant, face au FN, un comité de vigilance vient de se mettre en place. Et ce, alors que dans cette bastide où les frontistes beuglent « on est chez nous », niche un opposant historique au Front, Gérard Paquet, l’ancien patron de Châteauvallon.
C’est dans le Var que le FN, avec Fréjus, Le Luc et Cogolin, rafle la mise. Mais avec la volonté, dixit Frédéric Boccaletti, le patron du FN 83, de ne pas faire de vague : « Marine Le Pen a rappelé aux maires les fondamentaux. Tenir ses engagements sans faire de politique nationale ni de sa ville un laboratoire. Pas question de prôner la préférence nationale. On l’a assez payé. La priorité, c’est baisser les impôts, le budget. Chaque maire a d’ailleurs été formé. Et peut compter sur la stabilité des équipes municipales. »
Quête de normalisation
Mais aussi sur quelques coups de main. Visiblement, la centaine de pages du « guide de l’élu municipal FN » ne suffit pas. D’où l’arrivée, au cabinet du Luc, de l’ancien candidat FN de la Seyne-sur-Mer, Damien Gutteriez. Et, à Fréjus, de celui d’Avignon, Philippe Lottiaux. « Des gens proches et compétents, sourit Boccaletti. Gutteriez a travaillé pour Nadine Morano et Lottiaux pour Balkany. » Et de taire la condamnation à un an d’inéligibilité du premier (passé, en outre, par l’UMP et le Modem) ou les talents cachés du second, énarque le jour et comique troupier à ses heures perdues (cf page 24).
De fait, la quête de « normalisation » va loin. Après avoir promis un « référendum » sur la future mosquée de Fréjus, le nouvel édile, David Rachline, prône désormais « le dialogue » avec l’association porteuse du projet. Autre revirement : après avoir fustigé l’emprise de Pizzorno, il aurait, d’après l’ex-tête de liste PS Elsa Di Méo, rencontré, avec son prédécesseur, Elie Brun, le PDG de la célèbre entreprise de gestion de déchets : « Je n’ai pas à faire état de mon agenda », crache Rachline, soucieux de lisser son image.
Tout juste se sera-t-il autorisé de faire décrocher le drapeau européen, lui qui, pourtant, non content de très bien imiter l’accent allemand, épaulera Le Pen père aux européennes. Celui qui a vu le sulfureux identitaire Philippe Vardon venir fêter sa victoire (et se prendre un coup de couteau) préfère mettre en avant « l’audit financier », qui permettra de réduire la dette de « cinq millions » et de baisser les impôts. Et ce, tout en musclant la police municipale qui vient d’empêcher l’installation de gens du voyage !
Pour Elsa Di Meo, « il ne faut se laisser piéger par les volte-faces ». En charge pour le PS de la surveillance des villes FN, elle vient de lancer l’association « Forum républicain ». Et dénonce tant « l’amateurisme » de la nouvelle équipe que la « collusion » avec la droite. Reste qu’à l’agglo, Rachline, qui voulait présenter sa candidature, s’est vu refuser le droit de s’exprimer. Mouché, le frontiste quittera l’hémicycle, en appelant au préfet et au respect de la… démocratie.
L’union UMP-FN
Dans le Vaucluse, c’est plus clair. Au-delà des rapprochements à Avignon entre une partie de l’UMP et de l’extrême droite, au Pontet, ce serait même l’entente cordiale. Le socialiste Miliani Makhechouche, à l’origine tant d’un recours que d’une association (« le Pontet autrement »), accuse carrément l’ancien maire de droite, Alain Cortade, d’avoir contribué à l’élection du frontiste Joris Hébrard ! Qui, en échange des onze voix du FN pour porter à la tête du Grand Avignon le maire UMP de Villeneuve-lès-Avignon Jean-Marc Roubaud, est devenu, avec les suffrages de la droite, 2ème vice-président de l’agglo…
Mais, au-delà de cette surprise pour le FN qu’est le Pontet, ce dont témoigne le « 84 », c’est l’ancrage de l’extrême droite. Emblématique ? L’élection à Camaret-sur-Aigues de Philippe de Beauregard. Que celui qui fait juriste pour Jacques Bompard, et avoue avoir eu par le passé « un différend avec la direction du FN », ait reçu le soutien de Marion Maréchal Le Pen, en dit long sur le rapprochement entre le Front et la Ligue du Sud. Il faut dire que le bompardisme municipal semble payant, le maire d’Orange ayant été réélu au premier tour et sa femme, à Bollène, confortablement au second.
La maire sortante, la socialiste Marlène Thibaud, accuse le coup : « Ce qui m’a le plus choqué ? C’est d’entendre "Et alors ?" quand j’expliquais le parcours de mon adversaire. » Car « PDB » a été bras droit de Le Chevallier, patron du FN varois et officie encore comme trésorier de l’ADIMAD, association « nostalgériqque » extrémiste. Il est épaulé par deux transfuges d’Orange, Jean Brisset (qui travaillait à la com’) et Yann Baly, futur « dir’ cab » et actuel patron du centre Charlier. De fait, Orange fait office de fournisseur en ce moment, en témoigne le transfert à Béziers de l’éminence grise de Bompard, André-Yves Beck. Simple « partage du territoire » entre FN et Bompard, comme l’analyse le spécialiste de l’extrême-droite Jean-Yves Camus ? Ou « ambiance délétère » à Orange du fait de l’ascension du fils dans l’équipe municipale ?
De fait, à l’extrême-droite, avec, dans le viseur, les « interco » et les prochaines élections, la gestion en « bon père de famille » semble faire des envieux. Mais, comme l’assène le socialiste du Pontet Miliani Makhechouche : « A Orange, la gestion en bon père de famille, ça veut dire aussi des quartiers à l’abandon, des associations sans moyens… Il va falloir aussi qu’on se remue. Ça ne suffit plus de combattre l’extrême-droite. Ce qu’il faut, c’est la battre. Et pour ça, il faut qu’on refasse de la politique ! »
Sébastien Boistel