Des règlements très différends
Dimanche 18 mars 2032, 20h. La 6ème victoire de Christophe Castaner, 66 ans, maire PS de Forcalquier (04) depuis 2001 et député depuis 2012, ne fait pas recette : seule la moitié de ses colistiers et une poignée de militants se retrouvent autour de leur barbu préféré dans la salle des mariages de l’hôtel de ville. La faute au picrate californien qui a remplacé l’habituel petit Lubéron AOC, selon son premier adjoint. Sans oublier le pain désormais industriel et le caviar d’aubergine chinois. Le dernier producteur bio du coin vend ses mélongines au prix du caviar tout court…
La faute à Tafta aussi. Anti OGM, anti AGCS (1) et même anti traité transatlantique, Christophe Castaner avait pourtant dû, en 2014, se plier à la volonté de son président, un certain Hollande, en quête d’une hypothétique croissance. « Les Etats de l’Union européenne ont donné mandat à la commission de négocier pour tout niveau de gouvernement, dénonce alors, au début des négociations, Frédéric Viale, économiste du conseil scientifique de l’association Attac. Les cahiers des charges des marchés publics des collectivités locales pourront être attaqués par des entreprises au motif qu’ils vont au-delà de ce que dit le traité. » Progressivement, à Forcalquier, la petite enfance, la bibliothèque, l’école de musique, les équipements sportifs et même l’état civil et la police municipale (liste non exhaustive) passent sous la coupe du privé.
Le jeune député-maire, à l’époque, tente de s’opposer. Notamment dans ses cantines, en glissant du bio et du local dans son appel d’offre. Avant de renoncer, lorsque la Sodexo l’assigne devant l’organe des règlements des différends pour avoir faussé la libre concurrence. Au même moment, l’Etat français plie aussi devant les multinationales. Après avoir tenté d’imposer ses vues sur les OGM, le gaz de schiste ou encore ses systèmes de protection sociale et éducatif, il est attaqué par les trusts. Avant lui, l’Espagne a été traînée devant ce tribunal composé d’avocats d’affaires par des investisseurs privés pour avoir réduit ses subventions aux énergies solaires. L’Uruguay a aussi été poursuivi par Philip Morris après avoir ordonné l’augmentation de la taille des avertissements sanitaires sur ses paquets de cigarettes (2). La France décide plutôt de jeter l’éponge devant la douloureuse. « Chaque procédure coûte en moyenne 8 millions d’euros », souligne Frédéric Viale. A ce tarif, les gouvernements préfèrent faire des concessions aux multinationales, parfois carrément modifier les législations en leur faveur…
En mars 2014, à l’issue du 4ème round des négociations, la militante varoise Yvette Elie-Gardini s’affole : « Se battre contre le gaz de schiste ne sert plus à rien, car Tafta est plus important. Mon cerveau bloque, même les mairies n’auront plus aucun pouvoir, plus aucun droit. » Motivé, le petit collectif stop Tafta de Régusse et Moissac de la retraitée varoise a pourtant réussi à faire s’engager leurs élus contre le traité. Sans résultat.
Voté en février de la même année au Conseil régional par une majorité alors de gauche, la motion plaçant Paca hors Tafta a connu un sort identique. Depuis l’entrée en vigueur du traité USA en 2021, les lycéens sont au même régime que leurs camarades américains : ils ont le choix entre pizza (Hut) et burger (King) à midi (3). Sans oublier les profs de (A)decco et de Rand(stad), etc. A la suite de Thello, mis en service en 2014 entre Marseille et Milan, les TER sont désormais logués Veolia, contre une copieuse subvention. La formation, autre compétence de la Région, est assurée par des boîtes de cours du soir comme Acadomia. Evidemment, les travailleurs sont détachés et employés aux conditions de leurs pays d’origine. Une dérive que craignait Luc Leandri, conseiller régional Front de gauche au temps de la splendeur du président Vauzelle : « On risque d’avoir la même chose sur la formation que sur Pôle emploi, qui a confié ses prestations au privé. Au tournant des années 2000, le FMI estimait le marché à 400 fois celui de la santé ! »
Christophe Castaner en sait quelque chose. Complétude, une autre société de soutien scolaire, et ses « intervenants », ont remplacé l’Education nationale dans ses écoles maternelle et primaire et dans son collège. Et décident de tout. Comme ses autres prestataires, venus le féliciter en cette soirée électorale, tout sourire de réaliser le rêve de David Rockefeller. En 1999, le milliardaire avait déclaré à Newsweek : « Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire. » Il n’a pas eu à attendre longtemps… (4)
Enquête-fiction de Jean-François Poupelin