« Le clientélisme est la fleur de la pauvreté »
le Ravi : Comment expliquer l’ampleur de la défaite de la gauche aux municipales à Marseille ?
Pierre Orsatelli : La défaite s’explique par l’incapacité que nous avons eu à tirer les enseignements du système politico-clientélo-mafieux qui règne dans ce département. Sur les listes Mennucci (NDLR le candidat PS et EELV), on a pensé que nous pouvions marier la carpe et le lapin avec les candidats de fervent soutien à la majorité guériniste au Conseil général des Bouches-du-Rhône.
Pierre-Alain Cardona : C’est aussi l’échec de la génération qui a succédé à Gaston Deferre depuis les années 90. Patrick Mennucci a essayé de faire oublier qu’il a été, durant toutes ces années, un acteur de ce système. Mais les Marseillais n’ont pas la mémoire courte.
Marie Batoux : Marseille n’est pas une île qui vogue au gré d’un océan où il ne se passe rien autour. Avant d’être la défaite d’un système local, elle est essentiellement celle d’un parti à la tête du gouvernement. Depuis deux ans, il mène des politiques d’austérité qui déçoivent le propre électorat socialiste qui espérait un changement de politique qu’il n’a pas vu venir.
Le Front de gauche n’a pourtant pas mobilisé, autant qu’espéré, les mécontents du gouvernement…
M.B. : Il nous faut en effet, nous aussi, nous interroger sur notre militantisme, sur la manière dont, petit à petit, nous avons régressé dans les quartiers populaires, notamment à cause d’une précarité qui isole les individus.
Comment expliquer le très haut niveau d’abstention ?
P-A C. : Le sentiment que les politiques sont impuissants nourrit l’abstention. Nous faisons face aussi à une crise de la démocratie représentative avec des appareils partisans qui n’arrivent plus à incarner un débouché politique.
Les listes conduites par Diouf voulaient avant tout mobiliser les abstentionnistes. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
P-A C. : Au départ, avec le collectif du Sursaut, nous voulions dépasser les appareils politiques en travaillant en direction des Verts et du Front de gauche. Ça a échoué. Nous avons fait trois semaines de campagne. C’est trop court pour reconstruire la confiance, mais nous avons quand même réussi à mobiliser 15 000 électeurs.
Le positionnement « ni droite ni gauche » au second tour de « Changer la donne » n’a-t-il pas été une erreur avec l’élection d’un maire FN dans le 7ème secteur ?
P-A C. : Pape Diouf et beaucoup de Marseillais ne se reconnaissent plus dans les appareils politiques, voire dans le clivage droite-gauche. Mais derrière lui, il y avait des hommes et des femmes très majoritairement à gauche. Il faut relativiser le succès du FN, son score n’est pas une grande réussite. En additionnant l’abstention, les non-inscrits, ceux qui n’ont pas le droit de vote, près de 90 % des gens en âge de voter ne l’ont pas fait dans certains quartiers populaires. La victoire du FN, c’est l’échec de la gauche et de tous les partis qui ne savent plus les mobiliser.
Appeler à faire barrage contre le FN y compris en votant pour un élu socialiste aux pratiques clientélistes était-il contre-productif ?
P.O. : Le 7ème secteur est un territoire anesthésié par le clientélisme, qui est la fleur de la pauvreté. On y a pris de très mauvaises habitudes, auxquelles on n’a pas voulu remédier. C’est la première erreur. Mais oui, il fallait faire barrage à l’extrême droite. L’élection du FN n’est pas seulement le marqueur d’un PS déliquescent, c’est aussi celui de disparités sociales considérables. Marseille est la capitale européenne des inégalités. Jean-Claude Gaudin y a été élu avec 16 % des inscrits.
M.B. : N’oublions pas non plus la responsabilité de l’UMP avec la radicalisation de son discours, sa porosité avec l’extrême droite, qui a préparé celle de l’électorat. Pour recréer la confiance avec les électeurs populaires, loin du « ni droite, ni gauche », il faut recréer un discours politique clair, de classe, celui d’élus du peuple qui défendent les intérêts du peuple.
P-A. C. : Ce ne sont pas aux citoyens marseillais d’écouter les élus mais d’abord aux candidats qui veulent incarner quelque chose de mieux écouter les Marseillais…
La tutelle de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône a été levée et les sections du PS à Marseille et à Aix ont été dissoutes. Est-ce satisfaisant ?
P.O. : Cette tutelle n’a servi rien. On a mis le parti sous la cloche à fromage et ça sent très fort quelques mois après. Il faut dissoudre l’ensemble des sections du département et les reconstruire pierre à pierre. Il faut geler les mandats pendant deux congrès pour qu’on arrête le jeu des marionnettes, les courants et les sous-courants du PS.
Avec pareil constat, pourquoi rester encore au PS ?
P.O. : Il faut plus que jamais rester au PS pour ne pas donner raison à ceux qui aujourd’hui sont dans le calcul et afin de construire une offre sociale et une offre politique qui permette de mettre en mouvement les citoyens.
La création d’un mouvement politique par Jean-Noël Guérini, démissionnaire du PS, va-t-il compliquer la donne localement à gauche ?
M.B. : Ce que fait Jean-Noël Guérini ne m’indiffère pas. Cela pose un grave problème démocratique dans le département. Si je siégeais au Conseil général, je marquerais plus mes distances avec lui que ne le font les élus communistes. Mais il faut voir au-delà. Une partie du PS n’a peut-être plus rien à faire à gauche. Ce qui m’intéresse, c’est de construire une gauche alternative qui puisse demain être en tête.
Malgré vos différences, est-il possible et souhaitable, demain, de travailler ensemble ?
M.B. : Le militantisme est un travail de quotidien bien en dehors des élections. Le Front de gauche c’est aussi en interne des débats sur la forme « parti » et le choix d’une certaine liberté. Nous serons présents avec tous ceux qui voudront discuter avec nous.
P.O. : Les citoyens ont compris qu’il ne fallait pas perdre son temps dans des querelles intestines mais mieux l’utiliser à l’exercice de solidarités de proximité. L’enjeu aujourd’hui, c’est cette énergie citoyenne.
P-A C. : Je suis pour les discours partagés, la co-construction, mais notre priorité n’est évidemment pas de construire des alliances avec des partis existants. Il faut d’abord construire une relation différente avec les Marseillais.
Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Anne-Claire Veluire.