Les bonnes ondes
« Petite, j’ai demandé à mon père d’ouvrir la radio pour voir si il y avait une personne qui parlait à l’intérieur », raconte une adolescente au micro de Radio Activité. Le journaliste Antoine Lalanne-Desmet débute toujours ses ateliers en demandant à ceux qui y participent quel est leur premier souvenir de radio : « Dans des sociétés, elle est très présente, en cherchant un peu, tout le monde en a un. » En Afrique de l’Ouest, elle rythme la journée, tellement qu’on ne sait plus si on se met à table parce qu’on a entendu tel programme à telle heure, ou parce qu’on a vraiment faim. En France c’est souvent un souvenir de voiture qui conduit à l’école, au Moyen Orient, ce sont les voix de Fairouz ou d’Oum Khalthoum qui réveillent le matin, en Irak, elle a permis à la population d’apprendre l’invasion américaine… « On ne s’imagine pas à quel point la radio est importante dans la vie des gens ! », souligne le journaliste néo marseillais qui vient de quitter Paris pour poser ses valises à l’Estaque.
Donner de la voix
L’envie de créer une radio itinérante et de donner le micro à n’importe quel néophyte qui veut bien s’en saisir est née en 2016 d’une frustration, celle d’un grand reporter parcourant le monde et en ramenant des bribes de paroles entendues. Ras le bol d’interroger les exilés uniquement à travers le prisme de l’info : la traversée de la Méditerranée, les problèmes de papiers ou le racisme. Antoine Lalanne-Desmet prend conscience aussi que rares sont les reportages qui changent la vie des gens. Il a envie de laisser une parole libre et à travers les ateliers Microcamp Radio avec une équipe de bénévoles en majorité non journalistes.
Ils se déplacent dans des camps de réfugiés, en Grèce, au Liban, en Italie, à Calais, à Briançon, en Arménie, en Géorgie, en Irak… auprès des personnes exilées pour les initier et ensuite leur laisser les manettes d’une émission radio. Chacun aborde le sujet qu’il veut, en toute autonomie. « On assiste à des moments extatiques, se réjouit-il. La radio c’est un super prétexte pour mélanger les gens et pour se parler. » Un espace de dialogue s’ouvre alors entre des réfugiés ou des travailleurs sociaux, mais aussi avec la population locale comme en Grèce, ou encore entre des prisonniers lors d’ateliers en maisons d’arrêt. Et parfois même, l’expérience fait émerger des radio locales comme à Calais avec la CBB-Calais Border Broadcast ou au Liban où des femmes syriennes ont développé leur propre antenne avec Bekaa Radio.
« Après la Révolution quand je suis arrivée en France, je ne pouvais pas faire autrement que de penser à la Syrie, tout le temps, explique Caroline Ayoub. Ce projet m’a aidé à tenir psychologiquement et m’a donné le sentiment que j’étais active pour mon pays. » Elle est l’une des quatre co fondateurs de Radio Souriali (jeu de mots entre « La Syrie est à moi » et « surréaliste »), radio syrienne associative, collaborative et citoyenne (2) créée en octobre 2012 à Marseille. La radio, et d’autant plus la webradio, est un média simple, efficace, qui s’adresse à tous en permettant de garder le lien.
Caroline Ayoub et ses comparses ont choisi d’en tisser un entre leurs pays d’accueil et celui qu’ils ont dû quitter. Ils émettent de 14 pays différents via internet jusqu’en Syrie, dans sept villes au départ, dont les alentours de Damas. Aujourd’hui ce n’est malheureusement plus le cas. « On était relayé par les activistes mais ça devenait trop risqué pour tout le monde alors on a dû arrêter, note Caroline Ayoub. Et ceux qui contrôlaient le territoire, cherchaient à contrôler aussi notre contenu. Pour nous ce n’était pas acceptable. »
Un signal fort
A sa création, la radio s’adresse en priorité aux Syriens via le net, 300 000 personnes la suivent environ. Souriali a évolué au rythme du conflit. Avec les années, les reporters qui couvraient les événements sur place, au péril de leur vie, sont passés de 7 à 1 aujourd’hui. « Ce n’est rien d’autre que l’histoire de tous les Syriens, au bout d’un moment ils doivent partir », souligne la cofondatrice. L’une des journalistes, munie d’un dictaphone, a enregistré sa traversée. Un documentaire sonore rare. « Nous sommes 11 millions à vivre à l’extérieur du pays. C’est principalement aux exilés que l’on s’adresse aujourd’hui », poursuit Caroline Ayoub.
Les sujets aussi ont évolué. Cuisine, culture, mais aussi renseignements utiles pour les réfugiés en faisant intervenir en ligne des avocats basés dans les divers pays d’accueil… Mais plus les combats se sont intensifiés, plus les sujets sont devenus profonds comme la radicalisation, la démilitarisation du pays ou la reconstruction. « On a remarqué qu’on avait aussi des auditeurs qui n’étaient pas forcément syriens mais de pays arabophones avec les mêmes problématiques que le nôtre : non respect des droits humains, attentats, droits des femmes, etc. On a donc essayé de diversifier les sujets », explique Iyad Kallas, un autre des cofondateurs, installé désormais à Bordeaux.
Au départ Radio Souriali obtient des financements publics, notamment de la Région Paca, des fonds européens et des dons privés. Ce qui a permis à une époque de pouvoir salarier quelques-unes des 25 personnes œuvrant pour la plate-forme. « Mais l’ambiance politique a changé du côté de la Syrie, et aussi au niveau de la relation entre les deux rives de la Méditerranée », note le cofondateur. Selon lui, il est plus facile de trouver des subsides publics lorsque l’on parle de développement durable que de sujets plus sensibles politiquement. « Aujourd’hui, on est en pleine réflexion, pour savoir si ça vaut la peine de continuer », souligne Iyad Kallas. Comme le reste de l’équipe, il tient à ce que leur média continue d’apporter une valeur ajoutée : « S’il s’agit juste de faire fonctionner le projet pour avoir des financements, honnêtement ça ne nous intéresse pas ! »
Tous ont une autre vie professionnelle mais continuent d’animer bénévolement la radio même de façon plus sporadique. « Pour nous c’est important symboliquement de garder ce lien parce qu’on a été privé trop longtemps de notre liberté d’expression », explique Caroline Ayoub. «Souriali est avant tout une radio de citoyens, là-bas et ici, poursuit Iyad Kallas. Mais aujourd’hui on se retrouve privés de la citoyenneté syrienne à cause de tout ce qu’il se passe sur place mais aussi à cause de l’abandon de la communauté internationale. A quoi sert de parler de citoyenneté pour une patrie qui n’existe quasiment pas ? Au sein de l’équipe, nous sommes en pleine crise existentielle. » Même si chacun a désormais sa vie ici, certains ont même la nationalité française, faire silence radio est compliqué. Car Souriali est le fil qui les relie à leur pays. Celui qui a permis aussi de supporter l’exil.