Les travaux d’intérêt du maire
Lagarde-Paréol dans le Vaucluse, village provençal de 300 habitants avec vue imprenable sur le Mont Ventoux, a tout d’un petit paradis… Mais aux yeux de certains de ses administrés, Fabrice Leaune, maire (sans étiquette, réélu en mars dernier) depuis 2001 et patron d’une entreprise de BTP, semble peu se soucier de l’intérêt général. Corinne Forest, une normande d’origine dont le mari a hérité d’une maison dans le village, a porté plainte auprès du Tribunal de grande instance (TGI) de Carpentras en janvier dernier pour plusieurs prises illégales d’intérêts.
Une route privée payée par la mairie
La plaignante ne supporte plus les « combines » d’une mairie surendettée : 554 000 euros à la fin de l’année 2012, soit 1793 euros par habitant, trois fois la moyenne nationale ! « Je n’ai rien contre le principe de s’endetter tant qu’on mobilise l’argent là où on en a besoin, par exemple en arrangeant l’école du village qui part en ruine », fulmine-t-elle. Le premier volet de sa plainte concerne la construction d’une route, dite « la transversale ». Elle n’est encore qu’un large chemin de terre qui traverse sur 500 mètres un petit bois pour rejoindre la départementale 65. Elle a été construite en 2011 par l’entreprise ELTP, celle du maire, pour le compte de Jean-Marc Pradinas, adjoint au développement économique et… aux appels d’offre. Ce dernier est propriétaire des terrains entourant cette route, soit à titre privé, soit par le biais du GFA des Franciones, un groupement foncier agricole dont il assure la gestion.
Jusque-là tout va bien. C’est le 8 juin 2011 que tout se corse. Le conseil municipal adopte une délibération permettant l’indemnisation de Jean-Marc Pradinas : plusieurs bandes de terrain couvrant la route sont rachetées au prix fixé par France Domaine et, plus fort, le coût des travaux est indemnisé à hauteur de 93 271 euros TTC. En 2013, une délibération justifie le bien-fondé de cette route pour « permettre l’amélioration de la circulation des camions et engins agricoles […] et la sécurisation des personnes ». « Cette route ne sert à rien, à part à desservir les terrains de M. Pradinas que le maire compte rendre constructibles s’il est réélu (1). Si trois tracteurs passent dans le village par jour… », atteste la plaignante. Aucun appel d’offre n’aura été passé. Et au moment du vote de la délibération, les deux mis en cause ne sont pas sortis de la salle du conseil comme le requiert une jurisprudence de la cour de cassation pour se prévaloir de toute prise illégale d’intérêts, Jean-Marc Pradinas s’étant seulement abstenu.
Interrogé par téléphone, Fabrice Leaune ne souhaite pas commenter une affaire en cours, « d’autant plus qu[’il a] déjà été écouté par la brigade financière d’Avignon en 2011 pour la même affaire, classée sans suite ». Après vérification, le maire oublie tout de même de dire qu’il a écopé d’un rappel à la loi. Peu prolixe, il assure, brouillon, « que cette route était une opportunité pour la commune. Avec ce montage, je lui ai fait économiser 50 000 euros grâce à des matériaux qui étaient à disposition pour des travaux privés (un hangar commercial appartenant à M. Pradinas, NDLR). Il est là l’intérêt général ! »
Station d’épuration en zone inondable
Fabrice Leaune est également mis en cause dans le choix de l’emplacement de la station d’épuration, inaugurée en octobre 2012, un terrain placé en « zone aléas d’inondation » racheté au même Jean-Marc Pradinas… Un constat d’huissier montre que les travaux ont été réalisés par l’entreprise du maire. « On a commencé à se battre sur ce dossier en 2008, explique Sylvie Mansis, à l’origine de la création de l’association Lagarde-Paréol environnement. En 2002, lors de sévères inondations, il y avait un mètre d’eau à cet endroit-là… Il y avait pourtant d’autres terrains disponibles, trop chers selon le maire. »
L’association reçoit alors le soutien de la préfecture, qui dépose en 2010 un arrêté d’opposition. Finalement, la justice donnera raison à la mairie début 2011. Là aussi, M. Pradinas ainsi que M. Leaune n’ont pas quitté le conseil au moment du vote. Sur ce dossier, une décision de justice rendue par le TGI de Carpentras en novembre 2013 illustre les manières peu orthodoxes de la mairie en la condamnant pour « voie de fait ». Elle a en effet installé des tuyaux pour le raccordement à la station d’épuration sur le terrain d’une famille sans les mettre au courant. La mairie n’a pas fait appel…
Une troisième affaire vient clore cette plainte : la préemption d’une maison appartenant à la famille d’une adjointe sans qu’elle ne sorte du conseil municipal au moment du vote. Pire, elle a voté le prêt nécessaire à l’achat d’un montant de 200 000 euros. Enfin, plusieurs plaintes ont été déposées auprès des services de l’Etat pour des nuisances et des enfouissements polluants causés par l’entreprise du maire, son local technique devenu bientôt plus grand que le centre du village lui-même. La Dreal devrait venir inspecter cette installation d’ici avril. « Je sais qu’une plainte pour une seule prise illégale d’intérêts a peu de chances d’aboutir, confie Corinne Forest. Là j’ai voulu essayer de montrer qu’il existait un petit système d’arrangements entre amis… » La justice ne devrait pas se prononcer avant des municipales qui s’annoncent explosives !
Clément Chassot