Cavaillon bétonne ses terres agricoles
Sous couvert d’un projet écologiste, la communauté de communes veut implanter une zone d’activité et logistique sur des terres cultivables.
Cavaillon (84) semble aujourd’hui préférer le béton au melon. Au sud de la ville, dans une zone en bord de Durance classée longtemps inconstructible car fortement inondable, la communauté d’agglomération Luberon Monts de Vaucluse (LMV) souhaite ouvrir à l’urbanisation environ 120 hectares de terres agricoles en friche pour y construire des zones d’aménagement concerté (Zac). Dans un premier temps, 45 hectares sont concernés sur la zone des Hauts banquets. La Zac pourrait ouvrir en 2021 avec, selon LMV (1), 1600 emplois à la clé. Une enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique s’est terminée, en mai dernier, et le commissaire vient de rendre un avis favorable.
Reste maintenant quelques formalités et non des moindres, comme la révision du plan de prévention du risque d’inondation (PPRI) ! L’historique du projet est lourd. Depuis une quinzaine d’années, la ville de Cavaillon, en manque de foncier économique et confrontée à un fort taux de chômage, souhaite développer cette zone. Auchan a d’abord spéculé en se portant acquéreur d’une quarantaine d’hectares, des terres agricoles achetées à prix d’or. Ce qui a vite convaincu certains agriculteurs de partir…
Spéculation
En parallèle, LMV a construit en amont une super digue à 5 millions d’euros, inaugurée en 2018, pour permettre « le développement économique » de la zone (voir les Ravi n°135 et 137). Finalement, en 2016, Auchan abandonne son projet d’hypermarché. Dès lors, l’obsession de l’ancien député-maire (UMP puis LR) Jean-Claude Bouchet et de son adjoint à l’urbanisme Gérard Daudet – ancien cadre du BTP chez Eiffage devenu maire (LR) à son tour en 2017 pour cause de cumul des mandats – est de racheter les terrains pour y faire sortir de terre une Zac.
« Le projet reste très flou, ils ont mis la charrue avant les bœufs », commente Marie-Renée Blanc, membre de l’association Foll’Avoine, qui milite pour la sauvegarde des terres fertiles. Elle s’appuie sur deux avis donnés par l’autorité environnementale (la MRAE) relatifs à l’étude d’impact réalisée par LMV. Son premier rapport d’avril 2018, fait état de 14 recommandations, en soulignant notamment que « l’étude d’impact semble avoir été réalisée avant l’aboutissement de la réalisation précise des aménagements et du programme de la Zac ».
LMV a ensuite produit un mémoire de réponse visiblement très convainquant puisque la MRAE a édité un deuxième rapport identique au premier en août 2018 ! Pire, une étude sur les conséquences sur l’activité agricole commandée par LMV elle-même indique que « les incidences collectives brutes du projet sont très élevées ». Pourtant, une autorisation environnementale est accordée par le préfet de Vaucluse en avril 2019. « Notre rôle sur des projets aussi importants est de voir comment on peut faire les choses. On peut concilier les deux, affirme Dominique Conca, sous-préfète d’Apt, jointe par téléphone. Des mesures compensatoires ont été prévues, elles feront l’objet d’un suivi et nous veillerons à ce que les porteurs du projet respectent leurs engagements. […] C’est sous contrôle ! »
« Lors de la consultation de l’enquête publique j’ai été sidérée par ce qui est prévu : 230 000 m2 carrés alloués à la logistique (30 terrains de foot, Ndlr) et… 600 m2 pour des jardins partagés », s’attriste Marie-Renée Blanc. Proche de l’A7, L’entreprise Id Logistics, déjà présente à Cavaillon, devrait s’y installer. « Le tertiaire, encore, pourrait créer des emplois. Mais la logistique et les camions, non ! », s’insurge Jean-Luc benoît, vice-président de l’association Avec.
Logistique contre caution écolo
Dans divers documents et dans la presse est évoqué à plusieurs reprises le projet « Natura Lub’ » basé sur la « naturalité » (sic), plutôt vertueux sur le papier, avec un bâtiment à économie positive. Cette caution écolo a été portée par l’entreprise Koppert, qui propose des solutions pour se passer des pesticides. Mais selon son directeur général Frédéric Favrot – d’abord sollicité par la mairie et qui « ne veut blâmer personne » – « le projet initial n’est plus à l’ordre du jour ». Il ne devrait a priori pas voir le jour à la Zac. « Il est possible qu’une entreprise de logistique s’installe mais le maire a été très clair, ce n’est pas l’objectif ! On a visé l’emploi, il y a de beaux projets à réaliser. […] Je garde espoir car je suis de nature positive », commente la sous-préfète. Rassurant.
Toutes les associations environnementales dénoncent un programme d’un autre âge, à l’heure où le gouvernement s’est fixé un objectif de « zéro artificialisation nette » des sols. « Ce sont de très bonnes terres, équipées d’un système d’irrigation. C’est dément de vouloir les détruire alors qu’on pourrait créer des emplois avec une agriculture de proximité et des circuits courts. Des Zac désertées il y en a ! », commente Jean-Pierre Montigné, agriculteur à la retraite et voisin de la zone, membre de la Confédération paysanne. Selon l’élue départementale écologiste Sylvie Fare, 13,2 % des sols étaient artificialisés en Vaucluse en 2015, plus que dans le Var (11,4 %) lui-même au-dessus de la moyenne nationale (9,4 %). « Il est impératif de sauvegarder les ceintures vertes périurbaines pour assurer notre sécurité alimentaire », assure-t-elle. En attendant, pas à une contradiction près, le maire était fin juin à Paris pour défendre l’IGP « melon de Cavaillon »…