« Toutes les cartes sont rebattues ! »
le Ravi : Quel regard portez-vous sur les gilets jaunes et le grand débat du gouvernement ?
Olivia Fortin : Ceux en qui les Français ont le plus confiance, ce sont les maires. Pourtant nos centres de décision s’éloignent. Les régions s’agrandissent, on se métropolise, fusionne des communes. Ce lien entre les institutions et les citoyens est très important à renouer, il doit se jouer au niveau des villes et on a vraiment quelque chose à réinventer ici.
Kevin Vacher : Le grand débat est une opération d’Emmanuel Macron pour ré-institutionnaliser, ré-encadrer la mobilisation des gilets jaunes sur un terrain qui est le sien, avec un esprit très jupitérien. A Marseille, la crise politique locale prend le devant. Mais la question du logement réunit tout le monde. Et on a tout à gagner à ce que des gilets jaunes nous rejoignent.
Fatima Mostefaoui : On ne prend plus en compte le citoyen alors qu’il faudrait qu’il retrouve sa place. Dans les quartiers nord une histoire politique et associative fait qu’aujourd’hui les personnes ne vont plus dans les débats parce qu’ils se disent que rien ne va changer. Et concernant les gilets jaunes, on ne sait pas qui ils sont. C’est un peu compliqué pour moi d’aller me mettre à côté de quelqu’un qui vote peut-être FN.
La société civile a-t-elle un poids à Marseille aujourd’hui ?
K. V. : Il y a l’avant et l’après 5 novembre. La société civile n’avait pas vraiment de poids. Les acteurs les plus sincères, activistes, militants et politisés devaient se confronter systématiquement à la question : « comment s’émancipe-t-on d’un rapport basé sur la contrainte avec les élus ? ». Le 5 novembre fait basculer les choses car une crise politique s’est ouverte et toutes les cartes sont rebattues.
O. F. : Le Partenariat public privé (PPP) est un exemple parfait du poids de la société civile. La mairie a décidé de faire passer une délibération qui laissait penser que faire un PPP pour rénover 34 de 444 écoles était plus intéressant que de choisir une maîtrise d’ouvrage publique. La société civile et des experts s’en sont saisis. Ils ont démontré que les calculs proposés étaient basés sur de mauvais documents. Pour lutter contre cela, il s’est opéré une alliance inédite entre des experts de la société civile, de nombreuses associations et syndicats et même des politiques. Avec succès.
Le manifeste pour un Marseille vivant et populaire et sa liste de doléances préfigure-t-il un programme ?
K. V. : L’objet du manifeste c’est de pouvoir produire un discours politique, programmatique en effet. C’est un programme d’action pour tous les gens mobilisés actuellement qui se projettent à l’échelle de la ville toute entière et qui la pensent différemment.
O. F. : Chez Mad Mars nous voulons être un outil au service du regroupement de tous pour que ces combats trouvent une issue politique. Notre ambition c’est d’être efficace et réaliste. La voie du changement passera par des élections. C’est en étant unis qu’on pourra réussir à reconstruire le champ de ruine auquel on fait face.
Les mobilisations citoyennes doivent-elles s’inscrire ou se tenir à distance du calendrier électoral ?
K. V. : Le calendrier électoral ne se déroule pas comme prévu ! Pour preuve, la mobilisation post 5 novembre et cette fédération des colères qui s’est constituée autour du manifeste. Je ne suis pas certain que Mme Vassal (présidente LR de la métropole et du CD 13 que ses amis poussent à se présenter, Ndlr) ait prévu de partir en campagne aussi rapidement et de cette manière-là, de faire autant d’annonces, même si elles ressemblent à des opérations de communication comme avec les assises sur l’habitat. On a déjà perturbé le calendrier !
O. F. : Je n’annonce pas la fin des partis politiques mais ces corps intermédiaires représentent aujourd’hui peu d’attraits. Mad Mars se positionne malgré tout dans le calendrier électoral. C’est notre approche complémentaire au travail de fond du collectif du 5 novembre ou des Pas sans nous. A 400 jours des élections, il y a une vraie urgence à faire le lien entre tous les Marseillais pour qu’ils se réapproprient enfin leur ville.
F. M. : Que des élus fassent des programmes et nous les proposent, ce n’est pas ça qu’il faut faire ! Il faut qu’ils viennent avec une feuille blanche – car ils ont été au pouvoir pendant des décennies et qu’ils n’ont rien fait – et qu’ensuite on écrive le programme avec eux, nous les collectifs et les habitants. Et il y a de quoi faire à Marseille où dans les quartiers nord vous êtes mis de côté, où dans le centre-ville on vous a abandonné dans des logements insalubres…
Vous avez été candidate aux dernières municipales sur une liste citoyenne avec Pape Diouf. Une bonne expérience à reconduire ?
F. M. : J’avais alors envie de m’engager en politique mais pas avec des partis. Cela a été une expérience extra avec Pape Diouf même si on a commencé la campagne avec deux mois de retard. Aujourd’hui dans tout Marseille des gens sont capables de porter des listes. C’est à nous, les citoyens, de réinventer la politique de la ville. Mais le fait d’avoir une machine politique derrière un mouvement est un frein pour beaucoup qui veulent s’engager. Dans nos quartiers, de nombreux élus essayent de se refaire une virginité mais cela va être très difficile pour eux. Et puis il y aussi ceux qui, à l’Assemblée nationale, votent des lois pour m’empêcher de manifester ou contre les habitants pauvres, et puis qui viennent me voir ici pour dire « je suis avec vous ». A titre personnel, je ne me projette pas en 2020 mais ce serait bien pour la ville qu’il y ait des listes citoyennes. Surtout, nous ferons en sorte que les gens prennent conscience qu’il faut absolument voter car nous sommes en territoire FN (la mairie de secteur du « 13-14 » est dirigée par le RN : Ndlr).
Vous avez été candidat aux législatives lorsque vous étiez au NPA. Vous excluez de rempiler ?
K. V. : L’objet à l’époque n’était pas d’être élu mais d’avoir un discours politique dans un temps électoral. A Naples, un maire est issu des mobilisations anti mafia (Cf page 9 & 10). Ce magistrat, une figure politique locale, est arrivé à réunir autour de lui des centres sociaux, des mouvements autogestionnaires, des franges de la société civile, y compris la bourgeoisie intellectuelle locale. Il a pris la ville sans faire usage des partis politiques traditionnels. Est-ce qu’à Marseille c’est possible ? Je n’en sais strictement rien. Beaucoup y pensent, y compris des élus. Mais, plus que le calendrier électoral, le cœur du débat c’est la mobilisation sans précédent que l’on voit maintenant.
Malgré les obstacles une alliance inédite entre mouvements citoyens et politiques vous semble-t-elle jouable ?
O. F. : Beaucoup de changements sont possibles s’il y a une volonté politique forte de les distiller. Il existe des hommes politiques avec lesquels on peut travailler et c’est seulement ensemble que l’on se donne une chance. Notre objectif c’est gagner et pour ça, il faut construire une liste, un projet tous ensemble. Il ne faut pas seulement faire une alliance de deuxième tour mais avoir un projet fort dès le premier.