Huîtres chaudes à la Rockefeller
L’heure a sonné d’écrire la chronique culinaire « cuisiner c’est déjà résister » et je me sens un peu désarmé pour trouver encore une nouvelle manière de résister par la cuisine. Je ne sais plus quoi faire…Pourra-t-on empêcher le monde de partir en sucette avec des poêles et des couteaux ? Là c’est trop grave, on ne pourra pas s’en remettre. Mais le monde est-il vraiment perdu ? Au fond, le jour où, pour la première fois, un homme en a mangé un autre, celui qui regardait a probablement dû se dire : « Non mais là c’est foutu, le monde est mort ! »
Et quelques milliers d’années plus tard, les personnages sont les mêmes : celui qui mange, celui qui est mangé et moi qui regarde, témoin d’une humanité qui s’autodévore et qui pense que là, c’est bon, tout est fini.
Au fond, tout ça constitue un théâtre de l’absurde relativement bien mis en scène. On est en train de se faire avoir jusqu’à la moelle. Depuis la nuit des temps, c’est de spectacle qu’il s’agit. Dans nos rêves, tout ça se confond en un ralenti psychédélique où gilets jaunes et forces de l’ordre font l’amour dans le Fouquet’s en flamme pendant que Dieu attend paisiblement son hors d’œuvre.
Le monde n’existe pas, tout n’est qu’illusion.
La preuve :
12 huîtres numéro 1
Gros sel pour la présentation
1 petit bulbe de fenouil
1 branche de céleri
2 feuilles de blettes
1 échalote
2 pousses d’oignon nouveau
2 cl de pastis
1 cl de bitter ou d’angostura
2 branches d’estragon
75 g de beurre demi-sel
1 cuillère à soupe de chapelure
poivre du moulin
La veille, placer le beurre à température ambiante. Rincer toutes les herbes et les légumes, bien les égoutter, séparer les côtes des blettes et les conserver pour une autre recette. Hacher grossièrement les feuilles, chauffer une poêle à blanc, y jeter une noisette de beurre et y faire tomber les verts de blettes en quelques secondes. Laisser refroidir, hacher finement et réserver.
Couper en cubes minuscules (brunoise) l’échalote, le fenouil et la branche de céleri. Chauffer une noix de beurre et faire suer les légumes. Déglacer avec les alcools et faire réduire jusqu’à évaporation presque totale. Poivrer généreusement.
Ciseler les feuilles d’estragon et les pousses d’oignon nouveau, incorporer tous les ingrédients au beurre. Terminer par la chapelure pour épaissir le mélange.
Le jour J, ouvrir les huîtres de façon traditionnelle, jeter leur eau et y déposer une belle cuiller de beurre parfumé.
On peut réaliser cette recette au barbecue : on dépose les huîtres sur la grille, c’est prêt quand le beurre est fondu. Attention toutefois à porter des gants, les trucs chauds continueront à l’être même si maintenant vous savez que rien n’existe.
On peut aussi cuire les huîtres deux à trois minutes sous le grill du four.
Les huîtres refusent généralement de se tenir horizontales, utiliser du gros sel pour les caler dans le plat de service ou dans le four.
Ce plat délicieux nous vient de la Nouvelle Orléans et aurait, selon la légende, ravi le milliardaire éponyme. A l’occasion, les huîtres à la Rockefeller permettent aussi de prouver l’existence de Dieu.