Cumuler paye électoralement…
Le cumul est un outil indispensable du pouvoir local en France aujourd’hui. Les vainqueurs de notre palmarès des maires « cumulards » sont aussi ceux qui contrôlent les plus beaux fiefs, de Nice à Marseille en passant par Toulon, Avignon, Grasse, Antibes et Cannes. Du coup, la droite se distingue dans ces villes qu’elle contrôle de longue date : dans chaque département de Paca (voir les tableaux ci-contre), le champion du cumul est un élu UMP. Et ils assument. Tous les parlementaires UMP de la région ont voté contre le projet de loi sur le cumul des mandats en janvier 2014.
Théorie et pratique
Jean-Claude Gaudin est « l’arbre » de droite qui cache la forêt d’élus de gauche, pas en reste sur le cumul. Le maire de Marseille, réélu, est attaché à sa casquette de parlementaire et à ses diverses fonctions au sein de l’UMP, qui l’occupent beaucoup à Paris. Il cumule trois mandats importants : maire, sénateur et vice-président de la communauté urbaine Marseille Provence. Jean-Claude Gaudin aligne aussi quatre fonctions : président du groupe UMP du Sénat, vice-président national de l’UMP, président du comité départemental de l’UMP des Bouches-du-Rhône, président du conseil de surveillance de l’AP-HM (Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille). Mais quand on fait les comptes des mandats et fonctions, on s’aperçoit que deux élus communistes, les maires de Martigues et d’Arles, suivent de très peu Jean-Claude Gaudin. Gaby Charroux (réélu) et Hervé Schiavetti (réélu) ne sont en effet pas des gros partageurs. Quand on les titille sur le sujet, ils invoquent la nécessité de conserver leurs bastions, leur présence serait indispensable pour rassurer les électeurs.
Cela oblige-t-il vraiment Gaby Charroux à présider le syndicat chargé des transports urbains de Martigues, celui qui couvre le tourisme et l’événementiel ainsi qu’une SEM d’aménagement immobilier en plus de ses mandats de maire et de vice-président de l’agglo ? Et Hervé Schiavetti (réélu), maire d’Arles et vice-président de la communauté d’agglomération Arles-Crau-Camargue-Montagnette, doit-il nécessairement présider le Parc naturel régional de Camargue, le syndicat chargé du Scot, mais aussi celui qui s’occupe des traversées du delta du Rhône et celui qui contrôle les digues du grand fleuve, tout en gardant un œil sur l’établissement public qui gère les cantines scolaires arlésiennes ou le conseil de surveillance de l’hôpital Joseph Imbert ? Sachant qu’il est aussi conseiller général d’Arles-Ouest et vice-président du Conseil général des Bouches-du-Rhône pendant ses heures de libre…
A droite comme à gauche
Le cumul n’est pas un mal en soi. On peut tout à fait comprendre que les maires veuillent contrôler leur action politique et tiennent à s’assurer que leurs mots de campagne sont effectivement suivis d’effets. Mais cela ne devrait pas forcément signifier qu’ils trustent à leur profit toutes les présidences d’organismes clés dans leur secteur géographique. Même si n’y sont pas associées des rémunérations car bon nombre des fonctions exercées par les élus le sont souvent bénévolement mais, ça aussi, on le sait peu. On ne parle pas facilement d’argent en France, et le milieu politique ne fait pas exception. Dans une démocratie moderne, le partage des rôles politiques est la meilleure garantie contre les abus de pouvoir d’un homme – ou d’une femme, comme on le verra plus loin.
Théoriquement, le PCF est contre le cumul des mandats. Dans le 13, il est tout contre, vraiment collé à la pratique dans ses fiefs d’Arles, Martigues ou Aubagne. Toutefois, certains élus communistes sont restés plus modestes et cumulent peu, comme Patricia Fernandez (réélue) à Port-de-Bouc , André Molino (réélu) à Septèmes ou Roger Meï (réélu) à Gardanne. Le Parti socialiste est à peine plus à l’aise. Même défait à Marseille, Aix et Arles, il conserve quelques personnages clés dans le paysage : Serge Andreoni et Roland Povinelli, les inamovibles sénateurs-maires de Berre-l’Etang et d’Allauch, ne rechignent pas à cumuler d’autres fonctions, tout comme Michel Tonon à Salon-de-Provence (battu), Vincent Burroni (battu à Châteauneuf-lès-Martigues) ou même Patrick Mennucci, le candidat à la mairie de Marseille, qui cumulait trois mandats : député, maire de secteur de Marseille (le 1-7) et vice-président de la communauté urbaine, tout en siégeant au bureau national du PS à Paris. Il reste député. Sur tout le département, les élus de gauche ont un indice de cumul moyen supérieur à celui des élus de droite, ils sont mal placés pour donner des leçons.
Dans le top 20 régional
Le climat de la Riviera est propice au cumul. Notre podium régional réunit Christian Estrosi (réélu), Jean-Pierre Leleux (non candidat) et Jean Léonetti (réélu), les maires de Nice, Grasse et Antibes. Au pied du podium, le maire de Toulon, Hubert Falco (réélu), ainsi que Bernard Brochand (non candidat), le maire de Cannes, et Georges Ginesta (réélu), celui de Saint-Raphaël, complètent la collection : six hommes, tous UMP, anciens ministres pour trois d’entre eux. A noter la présence d’un élu socialiste, le sénateur-maire de Valbonne, Marc Daunis (réélu), perdu dans une forêt d’élus de droite, et le beau score de deux femmes, Michèle Tabarot (réélue) et Christiane Hummel, (réélue) maires du Cannet et de La Valette-du-Var, qui cumulent autant que leurs homologues masculins et entrent dans le Top 20 régional.
Dans le Vaucluse et les Alpes, les élus de droite se distinguent encore une fois par leurs multiples casquettes. La grande gagnante, Marie-Josée Roig, tire sa révérence dans quelques jours, tout comme le second dans la liste, Alain Milon, sénateur-maire de Sorgues. Les maires de Cavaillon et d’Orange, Jean-Claude Bouchet (réélu) et Jacques Bompard (réélu), ont quant à eux bien l’intention de continuer à cumuler après les prochaines échéances électorales. Dans les Alpes, les maires modérés de Manosque et de Gap, Bernard Jeanmet-Peralta (réélu) et Roger Didier, cumulent certes, mais beaucoup plus modérément que leurs collègues de la Côte d’Azur.
Les super mamies
L’indice de cumul régional global se rapproche de celui observé dans l’enquête nationale de L’Express en septembre 2013, nos élus locaux cumulent autant qu’ailleurs. Moins à Marseille qu’à Nice et Toulon car le pouvoir y est moins concentré dans un petit nombre de mains, merci au partage entre MPM et mairie de Marseille. La part des femmes est congrue : 11 %. Peu d’élues mais qui cumulent autant que les hommes, la faute à quelques super mamies (Roig, Tabarot, Hummel, Joissains…). Au palmarès du cumul, l’UMP l’emporte haut la main dans tous les départements mais le PS et le PC ne font pas beaucoup mieux.
Tout en bas de notre tableau, il y a les vertueux, les non cumulards : la plupart sont juste maires de petites villes d’à peine 10 000 habitants collées à des grandes métropoles. Ce ne sont pas forcément les éléments les plus brillants mais ces « sans-grade » de la politique, de droite comme de gauche, la vivent au niveau local plus sûrement et plus intimement que les éléphants de leurs partis, courant d’avion en réunions entre Paris et le sud.
Pierre Falga