le Ravi crèche à l’hôtel (de ville)
« Vous avez aimé 2013, vous allez adorer 2014 » : malgré la douceur de l’hiver, le slogan de la ville de Marseille ferait presque froid dans le dos. 2013 s’en est allé, tout rentre dans l’ordre. Le trompe-l’œil qui couvrait la façade de la chambre de commerce et de l’industrie en bas de la Canebière a été retiré au profit de l’affichage électoral. Ce jour-là, en face du Palais de la Bourse, à proximité des fenêtres du Medef local, une camionnette vert fluo, celle d’Emmaüs, distribue à ceux qui sont sans abri, ou sans un radis, café et viennoiseries. Histoire de rappeler, aussi, qu’il y a 60 ans, l’abbé Pierre lançait son appel. A quelques rues de là, les troupes du maire sortant, Jean-Claude Gaudin, distribuent, elles, des tracts promettant, sans rire, le « changement ».
Depuis, la camionnette a atterri à l’autre bout de la Canebière, au pied de la mairie du 1/7, celle du candidat socialiste, Patrick Mennucci. Il faut dire que cette année la publication du traditionnel rapport sur le mal-logement de la fondation Abbé Pierre a lieu dans un contexte un peu particulier. Intervenant plus d’un an après l’arrivée au pouvoir d’un président qui s’est depuis lui-même qualifié de « social-démocrate », le tableau que dresse la fondation pour la 19ème année consécutive sort… à la veille des municipales.
le Ravi ne pouvait donc que s’y intéresser. D’abord pour constater que, sur le front du logement, la situation en Paca s’est encore dégradée. Pas étonnant : particulièrement touchée par la crise et le chômage, avec 788 000 personnes vivant sous le seuil de pauvreté (dont 139 000 travailleurs pauvres), Paca reste l’une des régions les plus pauvres de l’hexagone. Et alors que 75 % de la population, du fait de leurs revenus, pourraient prétendre à un logement social, il n’y en a, dans la région, que 11,3 %. D’où, fin 2013, près de 140 000 dossiers en souffrance (soit 10 000 de plus que l’an dernier !), dont près de la moitié dans les Bouches-du-Rhône. Et moins de 10 % des ménages en attente d’un logement social ont recours au Dalo (droit au logement opposable).
Autant dire que si, avec 8 500 logements sociaux financés en 2013, il y a un léger mieux, c’est notoirement insuffisant au regard des besoins et même des objectifs pourtant modestes que l’Etat et les bailleurs sociaux se seront fixés. De fait, si la sagesse populaire estime que « quand le bâtiment va, tout va », force est de constater que le nombre de mises en chantier a dégringolé de 22 % (et même de 43 % dans les Alpes-Maritimes). Comment s’étonner alors que la région Paca reste l’une de celles où le foncier est le plus élevé ? Et qu’en 2012, le nombre d’assignations pour impayés de loyer a augmenté de 22 % (+ 46,8 % dans le Var et + 33 %) et les expulsions de plus de 10 %, dépassant les 15 000.
Or, au vu de ce constat, on ne peut pas dire que la question du logement ait véritablement la place qu’elle mérite dans la campagne pour les municipales. Pourtant, en cette période de crise, tout, de l’emploi au transport en passant par l’écologie, nous parle de logement, d’urbanisme… Quand des salariés manifestent contre la fermeture de leur usine, de quoi parlent-ils, sinon des difficultés à boucler les fins de mois, à payer un loyer, de la peur d’être expulsé ? Quand les inondations viennent frapper le Var et les Alpes-Maritimes, que nous disent-elles de l’urbanisme dans la région ? Quand des collectifs venus des quartiers populaires s’invitent dans les campagnes, que font-ils sinon tenter de redonner la parole à ceux qui ont été relégués dans des zones où, pourtant, se font aussi les élections ?
Emblématique ? Pour la préparation d’un débat à la veille des municipales, la télévision participative du 3ème arrondissement de Marseille, l’un des quartiers les plus pauvres de la ville, est allé interroger les habitants qui fréquentent la Fraternité de la Belle de mai. L’essentiel des interrogations et de l’interpellation des élus aura porté sur les questions du logement ! « Mon mari est très malade, il ne marche pas facilement, et pourtant nous habitons au 4ème étage, sans ascenseur. Cela fait plus d’un an que j’ai déposé un dossier de demande de logement adapté et toujours rien ! », s’inquiète l’une. « Comme les tuyaux fuyaient de partout, j’ai dû couper l’eau. Mais comme le propriétaire ne réparait pas, j’ai dû habiter avec ma fille pendant dix huit mois sans avoir d’eau », s’insurge l’autre. Un troisième assénant : « Comment se fait-il qu’il y ait chaque année une augmentation de loyer alors que le logement se détériore ? »
Et pourtant, c’est presque en catimini que vient d’être adoptée définitivement la loi Duflot, prévoyant encadrement des loyers et garantie universelle de ces derniers. C’est avec discrétion que l’obligation de logements sociaux dans le cadre de la loi SRU est passée de 20 à 25 %. Mais, dans une région où l’une des craintes de ce scrutin sera le poids du FN, difficile de parler « logement social ». Ou encore de « réquisition ». Et n’évoquons même pas l’accueil de ceux qui n’ont ni toit ni papier et pour qui, comme l’ont rappelé la Fondation abbé Pierre, Médecins du Monde et la Fnars (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion), l’accès à l’eau est loin d’être une sinécure.
Est-ce à dire que la question du logement et de l’urbanisme sentirait le souffre ? Peut-être, au vu des affaires qui, dans la région, surgissent ça et là et qui concernent, pêle-mêle, la gestion du foncier, l’attribution des logements sociaux, les marchés publics…. Qu’importe. Il n’y a pas que pour les pros du BTP ou pour ceux dont la demande de logement social est en souffrance, pour qui la campagne électorale est une période propice d’interpellation.
D’autant que la fenêtre de tir est étroite. En effet, avec la mise en place des intercommunalités, le maire a dû partager avec d’autres la gestion de l’urbanisme, du foncier, des logements. Demain, dans le cadre de l’acte 3 de la décentralisation, et avec l’émergence des métropoles, d’aucuns craignent que le maire n’ait guère plus de pouvoir que le président de la République sous la 4ème République. En tout cas, il lui faudra, au moins officiellement, partager avec d’autres la mainmise qu’il garde encore sur son territoire. Raison de plus pour mettre les bouchées doubles dès maintenant. Et puis, on est à la veille de la fin de la trêve hivernale : des personnes qui rêvent de quitter leur domicile pour un bail précaire dans un hôtel – quand bien même serait-il de ville – ne peuvent qu’être sensibles aux questions de logement !
Sébastien Boistel