Jusqu’au dernier
Marseille, capitale de la culture c’est bien fini, au vu de la réception faite aux intermittents en lutte à Marseille ce matin du 13 mars 2014. « Goobi » un comédien qui tentait de pénétrer dans le World Trade Center porte bien son nom. « J’ai-dé–so–bé–i », m’explique-t-il en tenant son mégaphone. Il vient de recevoir une volée de coups devant le bâtiment. Un jet généreux de lacrymogènes finit de dissuader les autres intermittents. Pourtant une vingtaine d’entre-deux sont parvenus à rentrer dans l’escalier de la chambre de commerce.
« Il ont frappé sur un poète désobéissant » me raconte Gobbi, contusionné mais heureux. « Depuis 2003, je concourais pour les Césars du Tonfa mais à Rouen. La bas, j’avais fait 24 heures de garde à vue ! » Il a écrit les slogans du Groupe Intermittent Frondeur Libre comme celui ci : « Gazage intermittents à Marseille. La Police en vélo a perdu les pédales » évoquant les évènements du 12 mars. (la vidéo du gazage sous le soleil1) D’autres trouvailles s’ajoutent sur son Facebook que certains ont reproduits en autocollants : « Eclairagistes, Black out » ou « Magiciens Magiciennes, pas prés de disparaître ».
Michel, syndiqué à SUD culture approche les yeux rougis. Il concourait aussi : « Tous les intermittents concourent pour ce César. » En effet ils sont chaque fois plus nombreux dans ces actions coup de poing. Gérard, qui est constructeur dans le spectacle raconte qu’hier à la mairie du 1er arrondissement, celle de Mennucci (candidat PS aux municipales à Marseille), une équipe de tournage de France 3 était en grève. « C’est assez rare. Je crois que le film s’appelle, Jusqu’au dernier… » Est ce prémonitoire ? Il n’en reste pas moins que les jets de lacrymogènes ont même perturbé le travail de la police : « Un flic gazé a hurlé "T’es con ça fait super mal !" à son collègue qui gazait à la cantonade devant la mairie. »
Anne Alix qui est cinéaste n’était pas revenue depuis la grande manifestation du 27 février. « J’ai été prévenue par la CGT et SUD mais je ne suis pas syndiquée. » Venue pour défendre les annexes des intermittents. « Cela nous protège de la précarité de notre métier. ». Ce soir elle lira un texte à la Biennale des écritures du réel, « pour inviter à une prise de parole, pour ouvrir sur la précarité générale ». Un extrait de son texte dit ceci : « Nous pensons qu’en ces temps de précarité généralisée, ce système pourrait servir de modèle ou de base de réflexion pour une refonte de l’assurance chômage. » Anne avance des propositions qui englobent un projet de société : « Un nouveau rapport au travail, une autre répartition des richesses et nous pensons que cette lutte concerne tout le monde. »
Nicolas a rejoint le mouvement à Marseille depuis peu : tourneur de films et adhèrent CGT, il est venu pourtant à l’appel de la CNT afin que le MEDEF ne remette pas en question ses droits sociaux. « C’est dur, on est morcelé, il y a une difficulté à s’organiser », concède-t-il. Le mouvement a pourtant bien pris car « la semaine dernière, j’étais à Lussas en stage d’écriture en Ardèche et on a manifesté dans le village ».
Michel qui est constructeur et musicien à Marseille raconte qu’il a entendu à la radio ce matin parler de primes pour les patrons de Wall Street. « Moi je suis payé au cachet, la semaine dernière j’ai réalisé une petite structure de rue. L’année dernière avec la capitale de la culture, j’ai travaillé sur la musique de la grande parade. » Un profiteur du système, dirait Gattaz, le cascadeur en chef des patrons français. Cette année les parades des intermittents plaisent moins comme le souligne fortement Catherine Lecoq de la CGT spectacle : « Nous avons demandé à être reçu par Jacques Pfister de la chambre de commerce de Marseille qui a fait une OPA sur Marseille 2013 mais il n’est pas là. » Et avec ironie : « Nous sommes satisfaits de comment la culture est reçue dans cette ville ! » tonne-t-elle.
Pas fatigués, les intermittents sont allés occuper Pôle Emploi où ils ont été reçus par la direction. Une délégation SUD, CGT, CNT, et un intermittent non syndiqué a été reçu. Le journal des « interluttants » distribué dans la manifestation explique à propos des négociations de l’UNEDIC qu’il s’agit d’une guerre des pauvres entre eux, à tel point qu’Eric Aubin de la CGT a déchiré le texte patronal dans un geste théâtral.
Marseille capitale de la Culture est passée, revient le temps de la gifle ? Anne Alix terminera son discours avec ces mots de Jean Luc Godard : « Car il y a la règle et il y a l’exception. Il y a la culture qui est de la règle et il y a l’exception qui est de l’art. Tous disent la règle : cigarettes, tee-shirts, ordinateurs, télévision, tourisme, guerres. Personne ne dit l’exception, cela ne se dit pas, cela s’écrit, Flaubert, Dostoïevski ; celle là se compose – Gershwin, Mozart ; celle là se peint – Cézanne, Vermeer ; celle là s’enregistre – Antonioni, Vigo ou celle là se vit et c’est alors l’art de vivre. »
Christophe Goby