Quand la démocratie touche le Front…
Ce dimanche, au FN à Marseille, c’est galette. Et, pour tirer les rois, c’est Jean-Marie Le Pen qui s’y colle. Son discours est aussi usé que son costume. Mais que le patriarche, par ailleurs candidat aux européennes dans le Sud-Est, vienne battre le rappel à la veille des municipales est un signe : cette ville – et au-delà, cette région – est plus que jamais un enjeu pour un parti déterminé à jouer les arbitres. Le mot fait tiquer le patron du FN 13, Stéphane Ravier : « La seule fois où j’ai été arbitre, j’ai cru que j’allais me faire écharper, y compris par mon équipe. Je préfère être joueur. Pour gagner bien sûr. » Oscillant dans les sondages autour de 25 %, il compte au minimum jouer les troisièmes hommes à Marseille où il est candidat : « On y va ni pour faire battre l’un, ni faire gagner l’autre. Et encore moins pour tout bloquer. Ce qui est sûr, c’est qu’il faudra travailler avec nous. »
Sauf que, en atteste sa « bourse aux candidats », le parti rame pour boucler ses listes. Combien y en aura-t-il ? 500 ? 700 ? En Paca, le FN devrait en présenter près de 90. Avec, en ligne de mire, plusieurs villes jugées gagnables. Dans le 13 : Tarascon, Marignane, Vitrolles… Dans le 84 : dans le sillage d’Orange et Bollène, Carpentras, Cavaillon, Sorgues… Dans le 83 : outre Brignoles, Fréjus et Hyères. Mais le FN compte jouer les trouble-fêtes un peu partout, comme à Aix-en-Provence, Aubagne ou Istres…
Spécialiste du FN, Joël Gombin est prudent : « Plaquer le résultat d’élections nationales sur un scrutin local est risqué. Même le discours du FN s’est infléchi. Comme il n’y aura pas de Hénin-Beaumont en Paca, son objectif est moins de gagner des villes que d’avoir des conseillers municipaux partout où il sera présent. Ce qui ne sera pas difficile puisqu’il suffit d’avoir 10 % des suffrages exprimés pour être au second tour. » De quoi « reconstituer un réseau militant » et « préparer » les prochains scrutins, notamment les élections territoriales en 2015. D’où le rapprochement entre la député FN, Marion Maréchal Le Pen, et le député-maire d’extrême droite d’Orange « Ligue du Sud », Jacques Bompard, pour s’emparer de leur première « interco ».
Dieudonné ou Le Pen
Toutefois, en Paca, le parti doit osciller entre « marinisme bon teint » et « lepénisme plus traditionnel ». Sourire de Gombin : « Ce n’est pas que par héliotropisme que Gollnisch atterrit dans le Var. » Mais, pour Le Pen, « il n’y a pas deux discours au FN. Il n’y a que des modulations. Ensuite, il est certain qu’ici, les gens sont plus sensibles à l’immigration… » Et Ravier de préciser : « C’est sûr que Tarascon n’est pas Marseille. » D’où l’apparition de candidats plus « soft »: un jeune loup à Istres (Adrien Mexis), une « intello » à Aix (Catherine Rouvier), une directrice d’école à Tarascon (Valérie Laupies). Et même, à Digne (04), une ancienne des « amis de Sarkozy » !
« Attention, ce n’est pas le FN qui est venu me chercher, c’est moi qui suis venu au FN », corrige Mexis. Rouvier, elle, assume avoir été « choisie pour donner une autre image du FN. Ce qui a été mal vécu par certains ». Mais, là où à Brignoles le FN a dû exclure Jean-Paul Dispard, fort marri d’avoir été remplacé par Laurent Lopez, à Aix, « on a trouvé au cadre mécontent une tête de liste ailleurs », souffle la candidate, comptant sur la venue de Jean-Marie Le Pen pour « recoller les morceaux ».
Derrière les sourires, pas besoin de gratter longtemps pour que le vernis tombe. Ainsi, Valérie Laupies avoue assez vite être passée du MRC au FN sur les conseils d’Alain Soral : « J’étais perdue, je ne savais pour qui voter en 2007. Il m’a répondu : "Dieudonné ou Le Pen". Heureusement, je n’ai pas choisi Dieudonné ! » Et de fustiger « les immigrés qui, petit à petit, nous imposent leur mode de vie », ou les « cours d’arabe » dans son école… Et que dire des dérapages sur Facebook du candidat FN dans le 1er secteur de Marseille ? « Ce ne sont que quelques blagues du jeune militant qui gérait son compte », minimise Ravier.
De fait, explique Joël Gombin, « le FN doit composer entre ses volontés d’affichage et les volontaires disponibles. Se dire frontiste a un coût. Et encore faut-il avoir un discours cohérent. Alors, même si l’objectif du FN est bien, dans la perspective de 2017, d’affaiblir l’UMP, on va voir si le FN arrive à "tenir" ces nouveaux candidats ». En tête, le désistement, lors des législatives dans le Vaucluse, d’une frontiste en faveur de l’UMP au grand dam du FN ! Rouvier, discipliné : « S’il y a consigne, je m’y tiendrais. Car l’objectif, c’est de gagner en 2017. » Reste qu’à ses yeux, Maryse Joissains, Madame le maire UMP d’Aix-en-Provence, pourrait presque être « compatible »…
Emblématique. S’il nie toute « négociation », « c’est bien Jean-Marie Le Pen qui a été chargé de rencontrer un conseiller d’Avignon et un autre niçois », assure le chercheur. Ravier, bravache : « La droite ne se souvient du FN que quand elle a le feu au cul. Pour l’heure, s’il y a eu quelques contacts, il n’y a pas de discussion. Le soir du premier tour, nos portables vont chauffer. Mais il faudra plus qu’une carte de l’UMP pour nous convaincre. La droite, elle n’avait qu’à être de droite ! »
Le dernier chapitre ?
Pourtant, en Paca, ce n’est pas faute d’avoir braconné sur les terres du Front. Même la gauche s’y est essayée : « Dès 1983, c’est Gaston Deferre qui est derrière la liste d’extrême droite "Marseille Sécurité", rappelle le sociologue. Que tout le monde ait le FN en tête n’est donc pas nouveau. Ce qui l’est plus, c’est que l’UMP ressemble de moins en moins au RPR. » Et de parier moins sur des accords formels que sur des renvois d’ascenseur. Comme aux Saintes-Maries-de-la-Mer (13) où le FN ne présente personne face à Roland Chassain (UMP) qui, aux législatives, s’était retiré face au PS, au profit du FN : « Nous sommes des gens polis », lâche Ravier.
Pas facile, en tout cas, d’être de gauche dans une ville que le FN a dans le viseur. Surtout quand on est communiste avec, pour belle-fille, la candidate frontiste : « Ça, c’est ma vie privée », se défend Jacques Laupies, animateur du blog « un communiste à Tarascon » et dont le fils est le mari de Valérie Laupies. Ce qui le désespère, dans une ville où le maire UMP vient d’être condamné pour « favoritisme », c’est « la désunion de la gauche. On a voulu se rapprocher du PS, mais les discussions ont achoppé ». Au parti de gauche (PG), on s’étrangle : « Comment s’allier avec quelqu’un qui, face au FN, ne faisait pas mystère de sa volonté de se rallier à la droite ? »
Pas facile non plus de faire face à un « vote FN qui perd de sa clandestinité, soupire un socialiste aixois. Mais, plutôt que condamner, mieux vaut être dans la pédagogie ». Car, comme le dit le PG à Tarascon : « Il n’y a pas que des fachos chez les électeurs du FN. Ce sont avant tout les victimes des politiques d’austérité. » Pas question néanmoins pour le député écolo François-Michel Lambert d’aller sur le terrain du FN. Comme le PS à Gardanne (13) ayant cru bon faire rimer, dans une tribune, Roms et insécurité : « Passons sur le fait que, pour ce texte, on a usurpé ma signature. Mais faire ça, c’est une connerie politique. Car ce qui fait grimper le FN, c’est quand on stresse les électeurs. »
Démonstration avec Le Pen. Si, devant les journalistes, il joue les victimes, craignant de Valls « un mini-Carpentras, une machination comme celle de Joxe à l’époque », devant les militants, « Jean-Marius » aboie : « Je ne viens pas pour vous caresser dans le sens du poil. Je viens vous dire que la situation de notre pays est grave. Peut-être sommes-nous en train d’écrire le dernier chapitre de son histoire. Et vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas ! » Vous non plus…
Sébastien Boistel