Assise du journalisme et presse pas pareille
A Tours, pour les Assises internationales du journalisme, la profession réfléchit à la défiance qu’elle suscite. Avec les vedettes d’un côté, les « pas pareils » de l’autre.
Soudain, deux gilets jaunes s’invitent aux Assises internationales du journalisme à Tours. « Alerte ! Les gilets jaunes attaquent les assises ! », hurle un homme qui filme la scène. Et qui, consciencieux, poste la vidéo sur le web. Avant de s’empêtrer dans les fauteuils : « Au secours ! Ils s’en prennent à un journaliste ! » Une mise en bouche de la Ligue d’improvisation de Touraine qui, pour son spectacle « Infox, rumeur et dépendance », prévient : « Cette scène est interprétée par des comédiens. Toute ressemblance avec la réalité n’est pas que fortuite. »
Quoi de mieux que la caricature pour mettre le doigt là où ça fait mal ? A ce titre, la 12ème édition des Assises, qui a eu lieu des 13 au 15 mars, vise juste. Presque à son corps défendant. Pour réfléchir sur le thème « les médias, tous les mêmes ? » et plaider, comme le patron de ces rencontres Jérôme Bouvier, pour « plus de dialogue et d’échanges », les programmateurs n’ont rien trouvé de mieux que de bien cloisonner les médias. Avec les vedettes d’un côté. Et les « pas pareils » de l’autre.
Alors que la vedette de TF1 et enfant du pays, Harry Roselmack, a droit à l’auditorium, pour faire entendre leur diversité, le Ravi, L’âge de faire, Mediacoop, Radio Campus se sont retrouvés, sous la houlette de Médias Citoyens, dans une petite salle vite bondée. A la même heure, symbolique, un atelier au titre sibyllin : « Ils se sont lancés cette année… et ça n’a pas marché ! » 11 heures, l’heure des losers ?
Pour la soirée d’ouverture, c’est la patronne de BFM qui a les honneurs de la grande scène du théâtre Olympia sur « journalisme et gilets jaunes ». Interrogé, Bouvier, préfère mettre en avant la présence de « Vécu, le média des gilets jaunes » et espère qu’il y aura « des gilets jaunes ». Peine perdue. De quoi faire exploser Denis Rougé de l’association d’éducation aux médias Les Pieds dans l’Paf : « Ils ont réussi l’exploit de nous refaire un plateau à la BFM ! Des experts, des journalistes mais pas un gilet jaune ! »
« Haine » et « neutralité »
Auparavant, ce sont les petites mains de la chaîne qui ont animé un workshop intitulé : « Haine des journalistes, que faire ? » A l’origine, le collectif « Paye-toi un journaliste », créé à la suite des mésaventures d’une pigiste prise a partie lors d’une manifestation à Montpellier. Mais la salle ne peut s’empêcher de bondir. Tant face aux réponses de la chaîne : des « agents de sécurité » et des «micros neutres non siglés BFM » qu’aux sorties de nos consœurs qui, sans vraiment interroger la ligne ou l’actionnariat de BFM, se font le relais de propositions hallucinantes. Comme conditionner l’octroi de la carte de presse à la « neutralité » du journaliste, estimant que « les gilets jaunes n’ont pas compris comment on travaille ». Réponse dans la salle : « Au contraire, ils l’ont parfaitement compris ! »
De fait, à Tours, l’ambiance n’est pas à la fête. Énième sondage consacrant la défiance envers les médias : 63 % des personnes estimant qu’ils disent tous la même chose, 37 % que l’information ça se paye et 15 % comprenant les agressions envers les journalistes. Et, dans le sillage de l’Observatoire de la déontologie de l’information et son rapport « l’information mise en cause », le « baromètre social » consacre le passage sous la barre des 35 000 du nombre de cartes de presse, plus d’un journaliste sur 4 étant précaire.
Certes, il est des initiatives revigorantes, comme « Factoscope », du « fact-checking » de la parole politique ou « What’s the Fake », une chaîne Youtube d’une journaliste ayant décidé de déconstruire par l’enquête les « fake news ». Ou le prix reçu par David Dufresne pour son travail sur les violences policières. Mais, dans un contexte de crise, à part renforcer l’éducation aux médias, la seule réponse promue par les Assises comme par le ministère de la culture, c’est un « organe de déontologie de l’information ». De la part d’un gouvernement qui a consacré le « secret des affaires » et qui rêve de « neutralité » des médias, ce serait presque risible. Presque.