Appel pour une « presse pas pareille »
Et si l’on se souvenait enfin que la santé des médias est un excellent indicateur pour mesurer celle de la vie publique à l’heure où, une fois de plus, les élections vont s’enchaîner? L’avenir de la presse, sa capacité à regagner de la crédibilité, à refonder les conditions d’une véritable indépendance, et à renouer avec son indispensable fonction d’aiguillon démocratique, dépassent largement les intérêts d’une corporation et nous concerne tous.
La dernière édition du traditionnel baromètre annuel mesurant la confiance dans les médias a ainsi dressé un constat désenchanté : 66 % des sondés pensent que les journalistes ne sont pas indépendants des partis politiques et du pouvoir, 60 % les jugent incapables de résister aux pressions de l’argent. Ce jugement sévère (mais réaliste ?) se fait sur fond de crise économique toujours plus dur pour un secteur où les réorganisations se multiplient tandis que les plans sociaux se succèdent.
Renouer avec les fondamentaux
Et pourtant… A l’écart des autoroutes de l’information, loin des grands groupes financiers, existe sur des chemins de traverse une « presse pas pareille ». Editée par des associations, des coopératives ou de petites entreprises contrôlées par leurs salariés, elle renoue avec les fondamentaux d’un métier ailleurs souvent oubliés : l’irrévérence, l’enquête, le goût du débat, la volonté de donner aux lecteurs, les moyens du plein exercice de leur citoyenneté, en les faisant participer au-delà d’un accès contrôlé à des « commentaires » qui servent trop souvent de déversoir.
En 2013, à Marseille, a eu lieu une première rencontre nationale d’une vingtaine de titres de cette « PPP ». Ces médias citoyens et non marchands, souvent engagés dans des actions d’éducation populaire, sont aussi à l’écoute de publics éloignés de l’information, ceux notamment des quartiers défavorisés et stigmatisés par les médias standardisés. En outre, ces structures qui à travers tout le pays, et qui n’aiment rien tant que la proximité et les circuits courts, font vivre, bon an mal an, des milliers de personnes.
Malheureusement le dynamisme de la « presse pas pareille » se heurte à de nombreuses difficultés : crise et déréglementation de la diffusion de la presse, pressions économiques et politiques, volatilité de lecteurs habitués à la gratuité… Des titres disparaissent, la plupart des autres survivent en compensant – mais jusqu’à quand ? – la faiblesse de leurs moyens par l’enthousiasme et l’engagement de ceux qui y travaillent.
Mutualiser les idées et les ressources
C’est d’abord à ceux qui font la « PPP », bien entendu, à faire la preuve de l’intérêt et de la viabilité de cette presse. Ils s’y emploient en cherchant notamment à mieux mutualiser leurs idées, leurs savoir-faire et leurs ressources. C’est à ceux qui lisent la « PPP », bien entendu, de s’impliquer dans son développement en la finançant mais aussi en participant à sa construction et à sa distribution. Autant de conditions nécessaires mais insuffisantes.
Car l’avenir de la presse indépendante passe aussi par une véritable reconnaissance institutionnelle à l’échelon local et national. Le paradoxe n’est qu’apparent. Est-il souhaitable de laisser le marché – ceux qui possèdent tous les moyens de production, de diffusion, de promotion – décider seul de ce que sera le paysage médiatique de demain ? Le caractère souvent opaque, clientéliste, arbitraire des liens financiers qui existent entre médias et pouvoirs politiques doit-il remettre en cause le principe même d’un soutien public aux médias pas pareils ?
Nous pensons, à l’inverse, nécessaire de réaffirmer le caractère indispensable des aides publiques à la presse. Mais nous revendiquons l’urgence de mettre à plat les logiques actuellement à l’œuvre. Les radios libres associatives – qui apportent un peu de diversité et de richesse au paysage audiovisuel français – auraient par exemple disparu depuis longtemps sans le « fond de soutien à l’expression radiophonique » (FSER) que verse l’Etat aux stations non commerciales.
Soutenir la presse non marchande
Un fond de soutien, à l’image du FSER, doit être créé pour conforter la presse non marchande. A condition de ne pas réduire, un peu plus encore, l’enveloppe attribuée aux radios ! En 2014 le budget du FSER sera de 28.8 millions d’euros pour « 680 services de radio », en baisse de 200 000 euros. La somme peut sembler élevée. Il faut la mettre en rapport avec les 1,2 milliards d’aides à la presse (directes et indirectes) accordés par l’Etat. Mais quelles aides et quelle presse ?
Car les subventions publiques à la presse profitent massivement et avant tout aux plus gros ! En 2012, le groupe Le Monde a empoché plus de 32 millions d’euros, le Crédit mutuel, Lagardère, Amaury, ont bénéficié chacun de plus de 18 millions. La presse TV n’est pas oubliée : presque 7 millions pour Télé 7 jours, 5 millions pour Télé star… La presse quotidienne régionale et ses riches propriétaires touchent large également : 2,2 millions pour La Provence…
Le constat est connu, dénoncé par les rapports successifs de parlementaires ou de la Cour des Comptes. La récente proposition de loi alignant le taux de la TVA de la presse en ligne sur la presse imprimée est une bonne nouvelle car elle supprime une injustice. Mais elle ne change en rien le caractère absurde des aides à la presse. La plupart des titres de la « presse pas pareille » (1) ne bénéficient toujours d’aucun soutien en dehors de tarifs postaux préférentiels identiques à ceux appliqués à la presse people et magazine. Dans les régions, la « PPP » est renvoyée vers les collectivités locales. Et rares sont celles qui reconnaissent leur existence sans chercher à les instrumentaliser.
Nous ne nous résignons pas à de sombres constats, fussent-ils réalistes. L’urgence de défendre la presse libre nous semble aller de pair avec celle de conforter citoyenneté et vie publique.
Nous croyons possible – en fédérant presse, lecteurs et élus « pas pareils » – de faire bouger les lignes.
Nous demandons au gouvernement d’entendre nos revendications et de nous associer à la nécessaire refondation des aides à la presse.
Nous demandons aux collectivités territoriales de prendre en compte notre existence et d’accompagner nos efforts pour faire vivre une presse de proximité.
Nous revendiquons haut et fort – inconditionnellement – les moyens de notre indépendance.
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