Tout Fouque le camp
Convoqués pour une simple audition en tant que témoins à la brigade des mineurs de Marseille, le 12 septembre dernier, une veilleuse de nuit de la Maison d’enfants à caractère social (Mecs) les Saint-Anges (Marseille 8ème) et Christian Barbe, délégué central CGT, ont été placés en garde à vue pour « dénonciation de délit imaginaire ou dénonciation mensongère » ayant entraîné des recherches inutiles. Une infraction qui peut être punie de six mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende. Une audition plutôt à charge, selon le délégué central. Et assez traumatisante si l’on en croit la salariée ayant passé dix heures à l’Évêché.
Des enfants en danger
Les Saints-Anges est l’un des 9 établissements – 7 Mecs et 2 IME (Instituts médico éducatifs) – que compte l’association marseillaise Fouque. À l’origine cultuelle, créée en 1892 par l’abbé Jean-Baptiste Fouque, béatifié le 30 septembre dernier, elle est depuis sous la coupe de la grande bourgeoisie catholique marseillaise. Le président actuel est Patrick Arnaud, avocat d’affaires et, à toutes fins utiles, spécialiste en droit fiscal des sociétés. Aujourd’hui, Fouque est financée principalement par des deniers publics provenant du Conseil départemental pour les Mecs et de la sécurité sociale pour les IME. Au total l’association compte 580 salariés pour un budget annuel de 32 millions d’euros.
Rien au départ ne laissait imaginer aux deux salariés qu’ils se retrouveraient en garde à vue pour avoir dénoncé des dysfonctionnements internes. À ce jour, le mystère demeure sur la suite donnée à cette garde à vue puisque, ni eux, ni leur avocate Me Béatrice Zavarro, n’ont de nouvelles de l’enquête. « On marche sur la tête, on vient accabler des gens qui dénoncent sans se préoccuper du désordre », s’insurge l’avocate. Et ni le parquet, ni la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) n’ont répondu à nos sollicitations.
Veilleuse de nuit depuis 2010, la salariée surveillait seule une vingtaine d’enfants âgés de 8 à 17 ans, dont certains présentant des troubles psy à connotation sexuelle, séjournant dans deux bâtiments séparés de 50 mètres. Au départ, elle donne l’alerte à sa hiérarchie sur des désordres « minimes ». Pas de réaction. Le 18 mai, la CGT envoie un courrier à la direction des Saints-Anges et alerte une fois de plus sur ces défaillances logistiques « impactant directement la sécurité des enfants et la responsabilité du personnel ». Dans sa réponse, le directeur de la Mecs, Vincent Gomez-Bonnet, ancien employé du CD13, ironise sur le « niveau d’inquiétude » : « si l’implication syndicale se résume à veiller à l’achat d’un Babyphone et à la réparation de volets et barreaux […] vos heures de délégations ne suffiront pas pour l’ensemble de l’association […] ce n’est pas forcément la vision que j’ai du dialogue social… » Christian Barbe saisit alors l’inspection du travail, qui le 27 juin à 22h15 effectue une visite de nuit aux Saints-Anges.
À l’issue de son contrôle, l’inspectrice décide d’alerter le procureur de la République de Marseille, via un article 40. Selon une source, ce signalement concernait un dysfonctionnement portant sur la sécurité des enfants. Lors de sa venue lui a été remis un courriel de l’équipe des éducateurs envoyé le 7 juin 2018 à Gomez-Bonnet, signalant des « incidents inquiétants » à « connotation sexuelle assez évidente » entre jeunes, la nuit sur l’unité des S., un des deux groupes surveillés par la veilleuse de nuit. Dans sa réponse du 8 juin, Gomez-Bonnet « prend acte » qu’il s’agit de faits graves, dit rechercher « des solutions éventuelles » mais s’étonne aussi de ne pas avoir eu « de rapport d’incident concernant ces faits ».
Des salariés à bout
C’est suite à ce signalement qu’une enquête aurait été confiée à la brigade des mineurs. Enfants, éducateurs et direction ont été auditionnés pendant l’été, selon Olivier Mira, directeur général de l’association Fouque. Mais avec les départs en camps, peu de personnels et de jeunes se trouvent sur site en période estivale. Le directeur général affirme ne pas avoir déposé plainte contre les salariés et avoir appris leur garde à vue dans l’après-midi du 12 septembre. Il ne sait pas dire non plus si une enquête a été menée en interne, suite au courriel des éducateurs. « Pour l’instant, il y a une affaire en instruction, nous répond le directeur, ancien conseiller général UDI de la Somme et candidat à la candidature LREM aux législatives de juin 2017. Nous ne sommes pas inquiétés. Ce que j’en déduis, c’est que manifestement notre travail est correct […]. On bosse bien ici. C’est un endroit qui fonctionne bien, avec beaucoup de chaleur humaine […]. C’est une belle association avec des gens motivés. »
« Un endroit qui fonctionne bien », ce n’est pas vraiment en ces termes que Me Olivia Voraz, avocate aux Prud’hommes décrirait l’institution. « Fouque est mon deuxième plus gros fournisseur de dossiers. Cette année, j’en ai eu sept. Sur ceux que j’ai eu à traiter, je les ai tous gagnés, sauf un où le salarié n’est pas allé jusqu’au bout, explique l’avocate. Il y a pas mal d’atteinte à la liberté d’expression, des licenciements abusifs, un gros dossier sur du harcèlement moral, deux-trois discriminations syndicales, dont plusieurs cadres concernés. » Et de conclure : « Il y a de gros dysfonctionnements en interne. Grosso modo on a une haute direction qui soutient toujours ses directeurs. C’est un mode de gestion agressif, clairement antisyndical. »
Samantha Rouchard (le Ravi) et Louise Fessard (Mediapart)