L’or blanc dans le rouge
Sur une pente glissante, la station de Risoul (Hautes-Alpes) est ouverte depuis le 14 décembre, malgré son placement en redressement judiciaire au printemps dernier. « La période d’observation a été prolongée jusqu’au 16 mai 2014, notre passif gelé, ainsi on a pu ouvrir dans des conditions normales », explique Max Bremont, le maire de Risoul. La station doit faire face à une dette de 4 millions d’euros. L’édile met en cause l’un des actionnaires de la délégation de service public, qui « s’est dispersé sur d’autres sites pas rentables ». Et de certifier : « Risoul est rentable ! Mais on a beaucoup investi depuis 2008, notamment 5 millions d’euros dans des dispositifs d’enneigement artificiel. » L’or blanc fond-il ?
Pour le maire de Risoul, « la neige n’est pas un problème ». Un avis partagé par Laurent Reynaud, délégué général des Domaines skiables de France : « On ne nie pas le réchauffement climatique mais il s’agit d’une échelle de temps très longue. Cependant, la neige de culture est essentielle pour faire face à l’aléa climatique. » Frédéric Jean, directeur de l’exploitation de Saint Jean Montclar dans les Alpes-de-Haute-Provence, regrette que son domaine ne soit recouvert de neige artificielle qu’à hauteur de 30 %. « Il me faudrait 50 % ! », s’exclame-t-il. Car la clientèle se fait de plus en plus exigeante. « Je ne peux pas garantir un enneigement satisfaisant pour attirer suffisamment de clients, déplore-t-il encore. D’autant que les Alpes du sud sont moins bien desservies que le nord et n’ont pas la même notoriété. » Il lui manque 400 000 euros de chiffre d’affaire pour pouvoir payer ses salariés sans s’endetter. Aux Orres, dans les Hautes-Alpes, il aura suffit d’une saison sans neige (2011-2012) pour que la station se retrouve déficitaire à hauteur de 500 000 euros. « On est revenu à l’équilibre aujourd’hui, mais les salariés vont passer aux 35 heures au lieu de 37,5 heures afin de dégager de l’argent pour investir », explique Olivier Musset, directeur de la Semlore, la société qui gère la station.
Station d’attraction
« Investissements, investissements,… », répètent à l’envi les professionnels. Car si la fréquentation des stations est plutôt stable depuis 2009 (autour de 7,5 millions de journées-skieurs dans les Alpes du sud), le modèle des stations de sports d’hiver est coûteux et a déjà commencé à se renouveler. Premier constat : le ski n’est plus une offre suffisante. « Avant, les clients prenaient des forfaits à la semaine, c’est plus rare aujourd’hui, précise Stéphane Henry, délégué Force Ouvrière aux Orres. Ils privilégient les forfaits journées ou demi-journées et décident d’aller skier en fonction de la météo. » Alors les stations se diversifient dans l’après-ski : piscine, cinéma, salle de spectacle… « Notre objectif, c’est de devenir un parc d’attraction ! », s’emballe Olivier Musset. Autant de lourds investissements qui s’ajoutent aux charges habituelles : le personnel, l’achat d’énergie… « Ce qui nous tue, c’est la réglementation. J’ai déboursé 250 000 euros d’entretien cette année », affirme Frédéric Jean. « Le problème aujourd’hui, c’est que les charges augmentent beaucoup plus vite que les recettes. Le prix de l’électricité, le prix de l’acier, les salaires minimum, tout augmente plus rapidement que la valeur du forfait », estime Laurent Reynaud. Entre 2000 et 2012, le montant des charges pour les entreprises de remontées mécaniques a augmenté de 58 % contre 43 % pour le tarif du forfait. Laurent Reynaud poursuit : « Augmenter les prix, c’est très compliqué car il y a une forte concurrence entre les stations, c’est le marché qui décide. »
Engrenage catastrophique
Selon Jean-Denis Rispaud, spécialiste de l’aménagement du territoire, de nombreuses stations des Alpes du sud sont prises dans un engrenage. « Plus de remontées mécaniques, c’est plus de logements, plus de routes, plus d’infrastructures… L’argent arrive dans les caisses et repart aussitôt, alors, au moindre hiver sans neige, c’est la catastrophe. » Face à cette fièvre de l’investissement dispendieux, certains souhaitent créer une économie verte de la montagne – moins coûteuse – et plus seulement une économie de la glisse. Président de la CIPRA France (Commission internationale pour la protection des Alpes) Alain Boulogne pense ainsi qu’il « faut élargir la palette, sans abandonner le ski, redécouvrir la faune et la flore, organiser des ateliers de découverte. Aujourd’hui, on ne voit plus la montagne, on ne voit que la neige ! »
Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) prévoit une hausse des températures pouvant aller jusqu’à 4,8°C d’ici 2100. Alors peut-être qu’un jour, la neige, on ne la verra plus…
Hugo Verit