Ma p’tite entreprise, elle connaît la crise
On connaissait déjà le Luberon comme un haut lieu du tourisme international : villages perchés enchâssant châteaux et églises, bories, murets de pierres sèches, vertes forêts et blanches collines… Loin des clichés touristiques, il est aussi une région viticole dont l’appellation d’origine contrôlée a été attribuée aux vins des Côtes du Luberon en 1988. Implantée sur 36 communes, l’appellation des Côtes du Luberon a la particularité d’être entièrement inscrite à l’intérieur du Parc naturel régional du Luberon. Un slogan : « Côtes du Luberon, les vins artistes ». Cette signature évoque la stratégie de l’appellation pour tenter de se faire une place sur un marché international déjà très concurrentiel.
Le véritable développement de ce vignoble commence à la fin du 19e, et s’accroît entre les deux guerres avec la création des premières caves coopératives. Au début des années 70, à travers ces structures, les vignerons entreprennent d’importants investissements et travaux de modernisation. Ils travaillent à l’amélioration de l’encépagement, avec l’appui de l’?nologie et des techniques modernes. Aujourd’hui encore, dans l’ensemble du Vaucluse, le secteur hérite d’un mode de production historique du vin ou les caves coopératives assurent encore 70 % de la production contre 30 % en caves particulières. La culture des vignes correspond à 42 % de la surface cultivée du département répartis entre de nombreux cépages et appellations, dont 75 % sont produits en A.O.C et 25 % de la production exportée.
« Dans la crise actuelle qui frappe le monde du vin, les caves coopératives sont davantage touchées, explique Julien Fauque, ?nologue dans le Vaucluse. Le marché des négociants et du vrac est en berne. Seuls les domaines qui ont construit une identité forte ou ont mis en place des stratégies marketing sortent leur épingle du jeu. » Les caves coopératives ont certes permis historiquement de structurer le marché de la viticulture, en rationalisant les outils de travail. Au fil du temps, elles ont acquis un poids politique et de lobbying important qui pour certains font passer la production des vins au second plan.
En Luberon, depuis vingt ans, le nombre de caves particulières a doublé. On en compte aujourd’hui une quarantaine. Pour sortir de l’impasse, certaines caves particulières et domaines décident de faire cavaliers seuls. C’est le cas du Domaine Meillan-Pagès, fort d’une trentaine d’hectares situés dans la commune d’Oppède. Les exploitants du domaine ont décidé de quitter la cave coopérative à laquelle ils étaient rattachés. Chez eux aucune stratégie de marketing, pas de budget de communication. Le secret réside dans la production d’un vin de qualité à un prix raisonnable, de la vente directe à la propriété qui est le meilleur gage d’un bouche-à-oreille grandissant.
Un autre exemple sur la commune de Bonnieux, le Château de la Canorgue utilise l’image de marque du Luberon, de son patrimoine pour mettre en avant ses produits. Mais sa véritable renommée vient du fait qu’il a été l’un des premiers domaines à avoir mis en place, il y a une vingtaine d’années, une production biologique à l’époque où personne ne croyait à ce marché. Aujourd’hui, ils ont acquis grâce à cette double stratégie la notoriété assurant la pérennité du domaine.
Aujourd’hui, à l’inverse, les regroupements de producteurs tentent de se moderniser pour faire face à la crise. En 2001, quatre appellations de la Vallée du Rhône se sont regroupées au sein de la Nouvelle Ecole de la Vallée du Rhône. Grâce à un budget spécifique, des actions de communication ont débuté, notamment en direction des marchés étrangers. Mais cela suffira-t-il à enrayer la chute ? !
Le géant californien du vin Gallo a passé récemment un accord avec le groupe Taillan, basé à Bordeaux, pour vendre aux Etats-Unis un Côtes-du-Rhône 2003 sous le nom de « Pont d’Avignon », un monument historique mais aussi une chanson enfantine connue outre-Atlantique. Gallo va consacrer pas moins de 5 millions de dollars en publicité pour vendre, à environ 15 dollars la bouteille, quelque six millions de litrons en 2005 de ce « Pont d’Avignon », dont le nom a été concédé par la ville d’Avignon, à travers 1.500 magasins spécialisés et 800 restaurants. Autant dire que la crise est loin d’être finie !
Jean-François Duch