Liberté, j’écris ton « non »…
Un collègue un peu bravache, à la lecture d’une lettre de remerciement, y est allé de son dédain : « La seule chose dont un journaliste doit être fier, c’est des menaces et des poursuites ! » Peut-être… Mais en attendant, aussi protectrice que puisse être la loi du 29 juillet 1881 et quand bien même le travail serait parfaitement fait, lorsqu’un journaliste est poursuivi, la carte de presse étant tout sauf un gilet pare-balle, il n’en mène souvent pas large. Pire ! Avec la procédure, c’est comme si tout était figé, l’avocat, comme la prudence, vous invite à ne pas en rajouter une « couche ».
Sauf que, comme l’analyse Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT, « si, à l’égard des grands médias, on est dans le registre de l’intimidation, des pressions, quand ce type de procédure vise des médias indépendants, associatifs, on est, ni plus ni moins, dans une stratégie d’élimination ». Le syndicat de journalistes a d’ailleurs décerné le « bâillon d’or » à Vincent Bolloré.
Basta Bolloré !
L’homme d’affaires s’est en effet illustré, comme le note Ivan Du Roy, co-fondateur de Basta Mag, en attaquant par deux fois le site web mais aussi une kyrielle de médias qui avaient eu l’outrecuidance d’évoquer ses activités africaines et la problématique de l’accaparement des terres : « On vient d’être relaxé pour la seconde plainte qu’il avait déposé à notre égard. Mais, pour la première, relative à un article de 2014, cela est allé jusqu’en cassation. Et, même s’il a perdu, ça nous a coûté environ 15 000 euros. Ce qui, pour une structure comme la nôtre, est loin d’être négligeable. »
D’où l’importance d’un collectif comme On ne se taira pas. « A l’origine, c’est le nom d’une campagne d’appel à dons lancée par la Coordination « eau » d’Île-de-France et la Fondation Danièle Mitterrand qui avaient été attaquées par Veolia parce qu’elles avaient dénoncé les coupures d’eau pourtant illégales de cette dernière », explique Camille Champeaux, la coordinatrice. La campagne ayant plutôt bien marché, d’autres structures sont sorties du bois pour dire qu’elles aussi avaient été victimes de procédures qui sont longues, coûteuses et épuisantes. Et comme ça ne concerne pas que les ONG, on a eu l’idée de constituer ce collectif. » Il réunit aujourd’hui les Amis de la Terre, Greenpeace, Ritimo, l’Observatoire des multinationales, Sherpa…
Si, note Emmanuel Vire, « auparavant, les médias étaient plutôt discrets sur ces questions », l’idée, c’est déjà de « créer de la solidarité », note la responsable. En effet, poursuit Ivan Du Roy, « même dans de grands médias qui ont les moyens de faire face, ce type de poursuites isole les collègues qui en font l’objet, ce qui les fragilise et ne peut qu’encourager l’autocensure. Quant aux médias plus modestes ou locaux, le collectif permet de donner de l’écho à des affaires qui n’auraient peut-être pas bénéficié d’une audience aussi importante ».
Dévoiement de la diffamation
Quoique encore jeune – il n’a qu’un an d’existence – le collectif s’est donné un autre rôle, celui du plaidoyer : « Certes, la législation en France se révèle encore relativement protectrice, reconnaît Camille Champeaux. Mais on pourrait aller plus loin. En faveur des lanceurs d’alerte, par exemple. Ou sur le front de la diffamation. En réservant cette procédure aux personnes physiques, ce qui écarterait les personnes morales. » Car, pour Ivan Du Roy, « s’il est important que les personnes puissent aller en justice quand elles s’estiment diffamées, il y a un véritable dévoiement lorsqu’on a affaire à des entreprises, des multinationales. Pour de telles structures, ce type de procédures ne représente rien ! » D’autant que, note la coordinatrice du collectif, « on commence à ressentir les premiers effets de la loi sur le secret des affaires. Et ses premières conséquences. Une loi qui consacre le droit à l’opacité ! »
Avec, pour le coup, deux poids, deux mesures. Notre syndicaliste a en effet récemment défrayé la chronique en voyant son domicile perquisitionné : « Il y a eu sein du groupe de presse où je travaille une affaire de menaces de mort. Mais, comme j’ai refusé de subir le prélèvement ADN, la police a débarqué chez moi pour embarquer un caleçon et une brosse à dents. » D’ordinaire, quand on est journaliste, on ne nous réclame que nos papiers !
Plus d’info : onnesetairapas.org