Les magistrats fantômes
Hausse du budget de la justice de 3 %, 555 postes supplémentaires dans la justice en 2014, le gouvernement Ayrault entendrait-il les plaintes répétées de nos magistrats qui regrettent un manque crucial d’effectifs ? Pas sûr. 555 postes en plus, certes, mais seulement 63 pour les juges et les procureurs. Contre 390 emplois de magistrats non pourvus, au 1er janvier 2014, nous dit-on au Syndicat de la magistrature (SM).
Les régions du sud attirent plus de monde mais « il y a des problèmes partout », affirme Benoît Vandermaesen, délégué régional du SM et vice-procureur de Marseille. Son Parquet est impacté – 2 postes vacants – comme l’ensemble des tribunaux dépendant de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (Alpes-de-Haute Provence, Alpes-Maritimes, Var et Bouches-du-Rhône) : 33 postes fantômes en tout (11 au Parquet, les procureurs, et 22 au Siège, les juges).
Ça s’aggrave !
Ainsi, des opportunités d’emploi semblent exister… Et pourtant, « il y a moins de candidats au concours qu’avant », regrette Benoît Vandermaesen. Le nombre de postulants à l’École nationale de la magistrature (ENM) chute depuis 1998… et repart légèrement à la hausse depuis 2012 (environ 400 candidats de plus qu’en 2011). Tiens, c’est vrai, entre temps, on a changé de président… « Nicolas Sarkozy n’aimait pas les juges. Cette profession a été tellement vilipendée pendant son mandat ! Mais il y a toujours suffisamment de diplômés pour combler les trous. » L’offre n’est donc pas le problème majeur. La demande, en revanche… « A l’époque de Rachida Dati, le nombre de recrutements était très faible, et on paie encore aujourd’hui la politique du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite », explique Benoît Vandermaesen. Un an et demi après l’élection de François Hollande – qui a fait de la justice l’un de ses secteurs prioritaires – l’espoir n’est toujours pas d’actualité : « On est revenu à un recrutement normal, mais ce n’est pas assez. On a beaucoup d’annonces, et rien ne suit ; 63 postes de magistrats en plus en France promis en 2014, c’est insuffisant », poursuit le délégué du SM.
Martine Attal, membre du Syndicat des avocats de France (SAF), travaille à Toulon, Draguignan et Aix-en-Provence : « Il manque en permanence entre 3 et 5 magistrats. Et je ne vois rien changer, je trouve même que ça s’aggrave. Certes, ils ont augmenté le budget de 3 %, mais ils ont aussi diminué celui de l’aide juridictionnelle… » Des restrictions budgétaires bien prévisibles pour Isabelle Simon-Papy, déléguée régionale de l’Union syndicale des magistrats (USM) : « Quel que soit le pouvoir politique, le problème c’est la crise économique. »
Dans son petit tribunal d’instance de Manosque, Guillaume Durr est l’un des rares magistrats à ne pas se plaindre. Il est le seul juge… pour un seul poste : « Ici, forcément, il n’y a jamais d’emploi vacant ! Et c’est suffisant. Mais ailleurs, il y a des problèmes, et pas seulement de magistrats. Il manque aussi beaucoup de greffiers… » Les greffiers : ce maillon de la chaîne judiciaire qui gère les convocations et l’exécution des décisions.
Délais non tenus
Moins de juges, moins de greffiers, résultat : des dossiers en retard qui s’entassent.
Ce n’est pas dans le hall du TGI de Marseille que ces conséquences sont visibles. Les justiciables ne se plaignent pas. Ils attendent patiemment leur tour depuis plusieurs heures : « Pour les audiences, tout le monde est convoqué à la même heure, mais on ne connaît pas l’ordre de passage », explique une avocate. En revanche, Martine Attal décrit une justice qui marche au pas : « On a parfois des affaires reportées à 6 mois, c’est un vrai problème pour les justiciables et pour nous, les avocats, qui sommes leurs interlocuteurs. » Et sur lesquels se déverse l’ire des clients. « Je n’arrive pas à respecter le délai de 4 mois pour les réquisitoires concernant les personnes non détenues », avoue Benoît Vandermaesen. Pour les juges aussi, la masse de travail grossit avec des audiences supplémentaires. « Et surtout des permanences de nuit en plus, souligne Isabelle Simon-Papy. On est moins performants à 23 heures qu’à 8 heures et le risque de commettre des erreurs augmente d’autant plus. »
Puisqu’il semble impossible d’accroître le nombre de magistrats, certains prennent le problème à l’envers. « Il s’agit de retirer certains contentieux, comme dépénaliser l’usage de stupéfiant ou la conduite sans permis », propose Benoît Vandermaesen. Déjudiciarisation : un mot difficile à prononcer. Et parfois, à accepter ! « Les drogues et les infractions au code de la route ne sont pas le gros de l’activité des tribunaux et le droit est un rapport de force, regrette Martine Attal. Si l’on sort les affaires des tribunaux, ce sera la loi du plus fort qui prévaudra. » La fin des délibérations, ce n’est pas pour tout de suite…
Hugo Verit