Procès sous rétention
Trois quarts d’heure avant l’audience, le calme règne autour du tribunal de grande instance (TGI) de Marseille. Et puis tout d’un coup, la cohorte d’une dizaine de camions de CRS rappelle que se tient, ce mardi 26 novembre après-midi, un procès délicat, celui des deux Tunisiens accusés d’avoir provoqué l’incendie d’une partie du centre de rétention administratif (CRA) du Canet à Marseille en mars 2011, sans causer de décès (voir encadré). Si les képis sont de sortie, c’est parce qu’un rassemblement de soutien aux deux inculpés est prévu à partir de 14h. Mais à 13h30, toujours pas l’ombre d’un militant des droits de l’homme ou du collectif de soutien « 6cra », créé peu après les faits. Exception faite de Sophie (1) ! Encapuchonnée, en ce jour gris et froid, qui tient à assister au procès : « on sait jamais, montrer qu’on est là peut influencer la décision du juge. C’est pour ça qu’il faut faire du bruit. »
13h48, passage aux détecteurs de métaux. Les abords de la 11ème chambre B se remplissent peu à peu. Essentiellement des militants venus soutenir Jamel Benamar et Mohamed Hamza, les deux inculpés du jour, ainsi que des journalistes. Puis déboule dans sa robe l’avocat Philippe Chaudon, les traits tirés, barbe poivre et sel et petite boucle d’oreille. Première interview face caméra donnée à France 3, puis à LCM. « Ils ne reconnaissent pas les faits et il n’y a pas plus d’éléments que cela contre eux, annonce-t-il confiant. En fait, les autres personnes mises en garde-à-vue les accusent tout les deux. On peut s’attendre à une relaxe. » Si pour lui, ce n’est pas le procès des CRA auquel nous allons assister aujourd’hui, sa ligne de défense va se porter sur les conditions de détention des sans-papiers dans ces nids propices à la révolte.
« Mais qui sont tous ces gens ? »
Les deux inculpés, âgés aujourd’hui de 25 et 27 ans, risquent 10 ans de prison, et pour l’un d’entre eux, Jamel, une peine complémentaire d’expulsion du territoire, sa situation n’étant toujours pas régularisée. Mohamed, lui, a pu depuis obtenir des papiers et vit désormais avec sa femme et sa fille en Ardèche. La tension monte, bientôt une quarantaine de personnes attendent de pouvoir investir le prétoire. Une avocate venue défendre un autre dossier – toutes les autres affaires seront renvoyées – se demande : « mais qui sont tous ces gens ? ». Parmi eux se trouve un Maghrébin, très élégant dans sa veste de costume en tweed noir et petits mocassins, accompagné d’une jeune femme à la teinture blonde. Bientôt tous les journalistes sont au courant que c’est l’un des prévenus, Jamel. Il a l’air anxieux. On lui demande s’il veut parler à la caméra, son avocat n’est pas particulièrement pour. Il finira quand même par se laisser prendre en photo, sourire gêné. Dans un bon français, il explique au Ravi qu’il n’a pas très envie de s’exprimer. Les dizaines de personnes venues le soutenir ? : « C’est très bien mais cela ne m’intéresse pas, j’attends d’être jugé pour des faits que je n’ai pas commis. »
Autour de 14h30, l’audience commence sous la direction du juge Fabrice Castoldi. Les deux prévenus sont appelés à la barre, accompagnés d’un interprète. La salle aux murs jaunis est presque pleine. Entouré de ses deux assesseurs, le magistrat rappelle d’abord longuement les faits puis revient sur la multitude de témoignages à charge de la douzaine de retenus le jour des faits. « J’étais dans la cour, j’ai vu un Tunisien dire à un autre qu’il avait mis le feu au premier étage, à la salle télé, et que maintenant, il fallait que l’autre s’occupe du rez-de-chaussée » ; « J’ai vu quelqu’un avec un briquet et du papier journal avant l’incendie »… Tous reconnaissent les portraits numéro 3 et 15 lors de leur garde–à–vue, : Mohamed et Jamel. Devant le juge, les prévenus se défendent sans grande conviction : « je ne connais pas ces gens-là, ce sont des menteurs. » En attendant, un journaliste de presse écrite locale roupille tranquillement.
Procureur humaniste
Les débats continueront ainsi jusqu’au délibéré, donné peu après 20 h. Pendant ce temps, devant l’entrée du tribunal sont présents une quarantaine de militants, représentants associatifs pour certains. Pour Marine (1), membre du collectif « 6cra », « il est important de ne pas être seule face à l’injustice de ce monde », et peu importe finalement si les inculpés sont coupables ou non. Un peu plus loin, Jean-Pierre Cavalié, délégué régional de la Cimade, rappelle la folie de cette politique d’enfermement qui ne dit pas son nom : « On parle de rétention, mais c’est la même chose. C’est un enferment illicite car ces gens n’ont commis aucun délit, à part celui de ne pas avoir de papiers. » Tout en rappelant que la Cour européenne de justice a mis à l’index la France en 2012 sur ses pratiques de rétention et que les CRA permettent l’entretien d’une main-d’œuvre low cost. Un ami à lui, Richard, pas loin des 70 balais, longs cheveux blancs et dents noircies par le cigarillo qu’il tient entre ses doigts, estime qu’il est « bon de ne pas se sentir tout seul dans ce combat. J’ai un peu de bouteille et ce qui est triste aujourd’hui, c’est la résignation des gens, qui ont du mal à finir leur mois et préfèrent regarder des jeux à la télé plutôt que de se poser les bonnes questions ».
Dans sa plaidoirie, l’avocat tente avec brio de démonter les témoignages à charge de personnes « qui souhaitaient qu’on les laisse tranquilles » tout en fustigeant l’incapacité des autorités à établir clairement une culpabilité malgré la présence d’une vingtaine de caméras. Mais c’est surtout le réquisitoire de la procureur, Marie-Blanche Reigner, qui en surprend plus d’un. Si, pour elle, les témoignages sont accablants et que de tels actes ne peuvent se justifier, elle s’acharne à démontrer les conditions indignes de rétention suite aux rapports du Sénat et du contrôleur général des lieux de privation de liberté, tout en fustigeant « la politique du chiffre » qui règne dans ces « usines à éloigner ». Un an de prison avec quatre mois de sursis est demandé. Les deux inculpés écoperont finalement d’un an ferme mais avec un aménagement de peine : ils devront porter un bracelet électronique. Une liberté, certes surveillée, loin des cellules opaques de la République.
Clément Chassot
1. Les prénoms ont été changés.