Le « Vietnam » de la clinique Rambot
Direction Aix-en-Provence (13). Traverser Luynes. S’engouffrer dans un chemin de terre, grimper à travers champs. Derrière le portail, trois chiens. Et au fond, une bergerie. C’est là, au cœur du Montaiguet, que Martine Coste vit. « J’y ai mis toutes mes économies. Et j’ai encore dix ans de crédit à rembourser », dit-elle, pour faire taire ceux qui voudraient présenter son association – Les amis du Montaiguet – comme « une poignée de privilégiés voulant défendre leurs petits intérêts privés au détriment de l’intérêt général ». Car, depuis plusieurs années, plusieurs dizaines de riverains se battent contre l’installation, au beau milieu de la campagne aixoise, d’une clinique privée.
« Elle va faire 330 mètres de long, l’équivalent de la tour Eiffel ! Et 26 mètres de haut, deux fois la hauteur de la Rotonde, tempête-t-elle. Avec, en prime, 800 places de parking. » A l’origine de ce projet, des médecins de la polyclinique Rambot qui, avec le soutien de plusieurs adjoints et de la Semepa (la société d’économie mixte responsable de nombre de projets immobiliers sur Aix), ont décidé en 2006 de délocaliser leur clinique dans le sud, en achetant « sans clause suspensive », s’étonne l’enseignante, des terres pour ériger un établissement de 85 millions d’euros.
« Dès qu’on a eu vent de ce projet, on s’est mobilisé, raconte-t-elle. Pas simplement pour défendre notre tranquillité. Mais aussi parce que le Montaiguet, c’est le poumon d’Aix. Et puis, nous sommes dans une zone boisée classée qui, en 2005, juste avant que ce projet ne voit le jour, a été ravagée par le feu. En outre, nous sommes sur des terres agricoles – et l’on sait leur rareté en Paca – qui font partie, de surcroît, d’une AOC. La clinique se trouvera enfin au cœur des périmètres de protection qui entourent les bastides que l’on trouve dans le coin. »
Difficile, pourtant, de faire entendre sa voix dans une ville où il n’y a « ni PLU, ni PDU, ni PLH et même pas de SCOT (1), dénonce Martine Coste. En clair, aucun des documents qui permettent de régir l’urbanisme en conformité avec la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain). Pour nous, cette clinique, c’est le cheval de Troie d’autres projets qui grignotent, peu à peu, la campagne aixoise. D’ailleurs, le maire d’Aix, en tant que président de la Communauté du pays d’Aix (CPA), n’a pas hésité à faire voter une dérogation aux règles d’urbanisation pour implanter cette clinique en zone naturelle et agricole, en assurant que celle-ci allait être préservée alors qu’en réalité c’est tout le contraire qui va se passer ! »
Alors, face à des réunions qui n’avaient de concertation que le nom – « des représentants de la mairie nous assuraient que tout était bouclé », se souvient-elle -, l’association s’est lancée dans une bataille juridique : « On a attaqué la révision du POS (1) qui a permis à ce projet de voir le jour, les permis de construire… On a même saisi la justice parce que l’adjoint à l’environnement à Aix est aussi patron d’un labo qui a signé un contrat d’exclusivité de près de 2 millions d’euros avec la future clinique ! »
Une entreprise coûteuse puisque l’association, avec l’appui de plusieurs CIQ (Comités d’intérêt de quartier), en est à 25 000 euros de frais de justice. Une paille à côté des « 3 millions qu’on nous réclame pour procédure abusive », soupire Martine Coste (2). Qui ne peut réprimer un sourire car, pour l’heure, en face de la bastide que Claude, un voisin, rénove depuis maintenant près de 40 ans, c’est toujours un champ et non un bâtiment qu’on croirait sorti d’un mauvais épisode de « Star Trek ». Et aussi parce que leur combat fait tâche d’huile : du côté de la Constance, les riverains se mobilisent face au projet d’y installer une ZAC au beau milieu des paysages peints par Cézanne…
(1) Plan local d’urbanisme (PLU), Plan de déplacements urbains (PDU), Plan local d’habitat (PLH), Schéma de cohérence territoriale (SCT), Plan d’occupation des sols (POS).
(2) Dernière minute : le recours des amis du Montaiguet vient d’être retoqué par la cour administrative d’appel. L’association, qui ne se voit pas réclamer de dommages et intérêts pour procédure abusive, a d’ores et déjà prévu de saisir le Conseil d’Etat.
Sébastien Boistel