Un rond-point dans la tête
C’est son côté chien fidèle : alors que tout le monde fait les yeux doux aux gilets jaunes, Christophe Castaner, l’ancien député PS de Manosque et actuel ministre LREM de l’Intérieur, drague lui à droite ! Confirmant le virage autoritaire du gouvernement, le Raymond Marcellin des Alpes a repris à son compte une proposition de loi « anti-casseurs » du sénateur LR et vendéen Bruno Retailleau que ne renierait pas son illustre prédécesseur place Beauvau, un précurseur en la matière.
Magie du « en même temps » cher au président de la République, les derniers de cordée de la macronie ont eux été envoyés sur les ronds points. « Il n’y a pas eu d’injonction, on a été encouragés à écouter les gilets jaunes, explique Delphine Bagarry, députée LERM de Digne-les-Bains (04). Mais les parlementaires ont aussi tenu à s’investir dans le dialogue et la restitution des revendications et des besoins. » Classée à gauche, cette médecin de campagne a rencontré trois fois les frondeurs de sa circonscription. « La CSG, le travail qui ne paie pas assez, le scandale des SDF, la justice fiscale, il y a beaucoup de choses qu’ils demandent que je porte dans mon groupe », assure la députée. Et de s’amuser : « Moi aussi je pourrais les soutenir. Les gilets jaunes ne veulent pas des partis et syndicats mais chacun fait de la récupération à sa sauce. »
Farandole de soutiens
Du RN aux Insoumis en passant par LR et le NPA, de FO à certaines sections de la CGT, du micro-parti Régions et peuples solidaires au collectif Climat du Pays d’Aix, tout le monde a un rond point dans la tête et fait les yeux doux aux gilets jaunes. Une danse du ventre collective que Sophie Camard, suppléante du député Jean-Luc Mélenchon, résume en quelques mots : « Solidarité et présence militante ». L’ancienne conseillère régionale EELV a très officiellement réaffirmé cette stratégie début janvier, dans un communiqué de presse consacré aux élections européennes. Alors même que le mouvement ne fait pas l’unanimité chez les Insoumis. « Chez nous il y a les inconditionnels et des critiques, les syndicats et les quartiers populaires, qui sont aigris par cette mobilisation de classes moyennes dont ils dénoncent le racisme et le côté facho », explique l’écolo. Mais de se justifier : « On verra ce que ça donne dans le temps, mais c’est le premier mouvement social qui fait un peu bouger les choses. » Mélenchon espère déjà qu’il se transforme en vote sanction.
Même espoir chez le Rassemblement national, où le soutien est tout aussi ostensible. Le 19 janvier au Thor, pour le lancement de sa campagne des européennes, Marine Le Pen a encore déployé un drapeau européen canari. « On regarde le mouvement d’un bon œil parce qu’il reprend le discours de la dernière campagne », s’emballe Frédéric Boccaletti, le secrétaire départemental du RN 83. Et d’assurer : « Nos militants ont suivi, mais en toute liberté, comme pour la manif pour tous. » Lui-même raconte volontiers avoir passé des dimanches au péage de Bandol « en famille et avec des amis ». Et même y avoir apporté, « sans son écharpe tricolore », « des sacs de provisions » ! Et sans arrière pensée ?
PS et LR tournent en rond
Du côté de la droite dite républicaine et des socialistes, on se fait par contre plutôt discrets. Ils préfèrent mettre en avant des initiatives symboliques. Comme la tentative (désespérée ?) de lancement d’un référendum d’initiative partagée sur l’ISF par le PS ou la proposition de loi du député LR d’Apt, Julien Aubert, de rendre « plus démocratique » le même (RIP) créé par Nicolas Sarkozy en 2008, qui demande pour l’instant la mobilisation de 185 députés et sénateurs et le soutien de 4,5 millions d’électeurs. Si le secrétaire général adjoint du parti dirigé par Laurent Wauquiez a aussi reçu les gilets jaunes de sa circonscription parce qu’il « partage certaines de leurs revendications sur [une meilleure répartition] de la valeur ajoutée et [souhaite] que les promesses de Macron soient tenues », il est aussi tenu par ses troupes. « Les Républicains n’aiment pas Macron, mais sont légalistes par tradition », regrette presque le député…
Du côté des socialistes locaux, la tâche est encore plus complexe. « On écoute le retour de nos militants qui participent, explique l’arlésienne Nora Mebareck, la première fédérale du PS 13. Nos maires ont ouvert des cahiers de doléances et j’espère que les gilets jaunes arriveront à se structurer pour continuer leur lutte sociale et qu’ils seront entendus. Mais avec 3 % d’intentions de vote pour le PS aux européennes, la question est plutôt de plancher sur ce que l’on porte et de faire, pas de parler ! »
Convergences multiples
La traduction du mouvement dans les urnes reste cependant la grande inconnue. A l’exception d’un Macron qui cherche à rejouer le scénario de la finale de 2017 face à l’extrême droite, personne ne se risque à un pari. Si l’ex FN est au coude à coude en tête des sondages avec LREM, il plafonne entre 21 à 24 % d’intentions de vote. Un poil moins que son résultat des européennes de 2014 (près de 25 % au niveau national, 28,8 % dans le grand sud-est). Pas de quoi montrer les muscles…
Surtout, une liste « gilets jaunes » aux européennes était annoncée, fin janvier, et une convergence entre des frondeurs, des partis de gauche et des syndicats commence à s’opérer. L’appel à la grève générale de la CGT pour le 5 février soutenue par Eric Drouet, une des figures du mouvement, donnera le ton. Une première expérience a déjà eu lieu le 19 janvier à Forcalquier, la ville de Christophe Castaner (voir page 20). Elle a rassemblé un millier de personnes. Du rarement vu selon les organisateurs.