Mets de l’huile petit d’homme…
Rouler ou se chauffer à l’huile de friture, un doux rêve ? On estime pourtant le gisement de ces huiles alimentaires usagées (HAU) à 120 000 tonnes par an. Si bien que la filière de valorisation de ces déchets très polluants, encore balbutiante selon la DREAL Paca (la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement), commence à devenir un réel business. Mais tous les acteurs de la filière n’ont pas le même profil, ni les mêmes objectifs de valorisation. Il y a d’abord les « gros » comme Veolia propreté. Une filiale de la multinationale a ouvert en 2009 à Limay (78) une usine dédiée à la transformation des huiles récoltées en biogazole. Grâce à un procédé d’estérification et l’utilisation de produits chimiques, les 20 000 tonnes d’huile récoltées par an un peu partout en France et en Europe ainsi transformées en biocarburant sont mélangées à du gazole classique (à hauteur de 0,35 %).
Et puis il y a aussi les plus « petits », souvent organisés en association. A l’instar d’Huilebrequin, installée à Mornas (84). Stéphane Bazille, ingénieur informatique par le passé et revenu de Dubaï en 2009 où il était « plutôt costard et V12 », a monté la structure en 2011. Dans son hangar, un enchevêtrement de cuves et autres pompes, lui permet de filtrer environ 25 000 litres d’huile par an, collectées entre les différents départements limitrophes du Vaucluse, sans produits chimiques. Sa production est entièrement destinée aux voitures des 300 adhérents de l’association, vendue 0,65 € le litre…
Flou juridique
Il n’est pas peu fier de sa Citroën à l’odeur de friture, qui après quelques petites modifications, roule entièrement à l’huile : « la règlementation est floue sur le sujet, il existe une sorte de vide juridique entre les lois européennes, qui encouragent plutôt cette pratique, et la loi française qui l’interdit pour des raisons évidentes de fiscalité… » L’huile ne produit, selon lui, que du CO2 de manière neutre, puisqu’il provient d’une matière végétale qui va le réabsorber, tout en ne rejetant pas de particules fines. Ce que conteste Bruno Delavenne, le directeur de l’usine de Limay : « je ne connais pas un motoriste qui recommande cette utilisation. »
Stéphane Bazille enrage à l’encontre des « grands » de la filière qui achètent l’huile là où son association la récolte sans contrepartie : « Nous ne pouvons plus accueillir d’autres adhérents car nous avons des difficultés à collecter assez d’huile ». Les circuits courts, le développement de l’économie circulaire, plus vertueuse que du simple recyclage, c’est également l’idée que se fait Alain Vigier de son activité. A la tête de l’association Oléo déclic à Marseille, lui aussi collecte une fois par semaine les huiles usagées dans une trentaine de restaurants du centre-ville. Avant de travailler avec l’association, la plupart des commerçants se débarrassaient comme ils pouvaient de leurs déchets gras.
Privilégier le local
Dans son hangar artisanal qui transpire l’huile, il filtre près de 7000 litres par an. Mais Alain Vigier ne soutient pas une utilisation automobile, plutôt opposé au « tout-bagnole », même s’il lui arrive d’en vendre à des agriculteurs, pour qui l’utilisation est plus tolérée. Il tente patiemment de développer différents usages, le chauffage en chaudières, par exemple, qui nécessite des brûleurs adaptés, ou bien l’alimentation de groupes électrogènes lors de festivals. La réglementation sur la combustion est un peu moins contraignante. « Le frein principal au développement de cette activité c’est le flou de la règlementation », souligne Sophie Camard, conseillère régionale Europe écologie – Les verts.
François-Michel Lambert, député écologiste des Bouches-du-Rhône, préside l’institut de l’économie circulaire. « Transporter des huiles sur des kilomètres est absurde, affirme-t-il. Il faut à tout prix rester dans une logique de territoire et donner aux acteurs locaux les solutions pour que leur activité devienne pérenne. Mais il y a de la place pour tout le monde. La combustion en chaudière semble être la solution la plus optimale pour les HAU. Veolia pourrait très bien exercer ce rôle, comme d’autres, mais ils ne savent pas le faire. » Des incitations financières pourraient être déterminantes… « Cette activité nécessite une certaine centralisation pour pouvoir être efficace, rétorque Bruno Delavenne, le directeur de l’usine parisienne. Certes, nos camions font parfois des kilomètres mais nous respectons les exigences de l’Union européenne : le cycle de vie de notre activité, de la collecte jusqu’au réservoir, permet de réduire de 83 % l’émission de gaz à effet de serre par rapport à du gazole classique. » Et par rapport au vélo ? Business is business.
Clément Chassot