« Ça fight dans la salle des associations… »
18:53
Une camionnette de gendarmerie est stationnée à côté de l’église de la capitale des bobos de Paca, face à la mairie où a régné, de 2001 à 2017, Christophe Castaner, l’actuel ministre de l’Intérieur. Gérard Avril, le nouveau maire, désigné par le « très-craint des Alpes », surnom local donné à « Casta », accueille ce mercredi soir sous son toit la première des trois réunions thématiques du « Grand débat national » qu’il a organisées. Un vrai fidèle !
18:58
La salle Pierre Michel affiche complet. Une grosse soixantaine de retraité-e-s, deux bonnes poignées de quadras et quelques élus s’entassent autour de tables installées en configuration loto des sapeurs pompiers. La salle des associations est ouverte pour absorber les nouveaux arrivants. Moyenne d’âge : plus de 70 ans. La table choisie par le journaliste du Ravi fait exception : aux côtés des deux Claude qui l’encadrent et de Philippe, Etienne, Pierre, Christian et Nicole, tous retraités, il y a Stéphanie et Yann, un couple de quadras !
19:05
« Merci d’être venus nombreux », lance Gérard Avril, le maire, avec ses petits yeux rapprochés. Sans plus de salamalecs et visiblement peu enthousiaste, l’ancien premier adjoint de Castaner passe à l’organisation de la soirée : travail en atelier sur les thèmes de la démocratie et de la citoyenneté entre 19h30 et 21h, puis restitution. « Oh oh oh ! », le calme l’assemblée.
19:18
Dans la foulée d’un mécontent qui demande un « débat avec tout le monde » pour « parler des méthodes de la police et des lois liberticides en discussion », un gilet jaune prend la parole. « [Nous avons] décidé de ne pas perdre [notre] temps dans ce débat bidon », attaque le retraité, avec sa casquette de Gavroche. Et d’invectiver : « Soutiens des godillots LREM, amusez-vous bien ! » « Heureusement qu’il y a des intellectuels. Les crétins vont pouvoir travailler », persifle l’un des Claude.
19:29
Les élus font le tour des tables avec feuilles, crayons et « mode d’emploi ». Imprimé par le gouvernement, le document propose une trentaine de questions et un tour rapide sur nos institutions et les droits et devoirs des citoyens. Et surtout un long laïus sur « l’immigration et l’intégration ». Au menu : la très décriée loi Asile et quelques chiffres. Exemple : « 27 373 éloignements et départs volontaires ont été mis en oeuvre en 2017. » Un clin d’oeil très appuyé…
19:33
« Est-ce que vous avez désigné un rapporteur qui écrit bien ? », s’inquiète Florence Cornuet, la directrice générale des services chargée de la retranscription, en jetant un oeil effrayé sur les notes du journaliste du Ravi. « Je ne veux pas vous bousculer, mais je pars à 20h », s’impatiente Claude. Finalement, et à reculons, Pierre, un ancien prof aux yeux rieurs cachés derrière des lunettes, s’y colle.
19:35
Claude, décidément pressé, lance la première question : « En qui faites-vous le plus confiance pour vous faire représenter dans la société et pourquoi ? »
19:41
Après un premier tour de table où l’on parle « transparence », « démocratie participative » et élection du président avec 20 % du corps électoral, les premières propositions sortent. Pierre, le rapporteur, propose de « voter pour un programme au lieu d’une personne », Yann, barbe brune et lunettes sur la tête, de rendre « le vote obligatoire et que soit pris en compte le vote blanc ». Et d’expliquer : « Je suis un assidu [du vote blanc] parce que j’en ai marre de voter contre. »
19:51
Avant de se lever, Claude « lance un dernier gros débat intéressant : la proportionnelle ». Cheveux en courronne et barbe blanche, Christian, un peintre responsable de l’artothèque de la ville, la veut intégrale, avec un seuil de 5 %. Philippe, son aîné de quelques années, s’emporte : « En 1789 on a aboli les privilèges de l’aristocratie, mais on a mis en place ceux de la bourgeoisie ! » Pierre pose son stylo : « Là, je ne sais pas quoi noter. »
19:57
« Question sur le non cumul », annonce Stéphanie, une fonctionnaire territoriale à lunettes et au pull bordeaux. Avant de préciser : « Là, c’est aiguillé. » Trois choix sont donnés : « Une bonne chose », « une mauvaise chose », « ne sais pas ». Le groupe veut aller plus loin : encadrement du statut de l’élu, limitation du nombre de mandats et même carrément « une interdiction de se représenter en cas de défaite » pour Christian ! Ses anciens camardes communistes, qui cumulent plus les défaites que les victoires, apprécieront…
20:06
« Je voudrais que l’on reviennent sur la démocratie représentative », propose doucement Pierre. Et de questionner : « Comment on la met en place ? » Philippe et ses cheveux blancs font part de leur expérience des conseils de quartier. Et de leurs limites : pas de sujet sensible. Stéphanie s’inquiète : « Il faut que la démocratie participative passe par les réseaux sociaux. Très peu de jeunes se sentent citoyens. » Pour preuve, un ado boude dans un coin…
20:17
Stéphanie reprend le cours du questionnaire : « La réduction du nombre de parlementaires on a répondu, le vote obligatoire, le vote blanc on a répondu…. » Et la fonctionnaire territoriale de relancer le débat sur la démocratie participative avec la question 11. Yann, son mari, propose de limiter les référendums aux questions locales. Christian acquiesce : « Entre Forcalquier et Oraison on est déjà à des années-lumière ! »
20:28
Petit conciliabule entre Florence Cornuet et Noël Piton, conseiller municipal très présent ce soir. « Ça fight dans la salle des associations », s’alarme la DGS.
20:30
Alors que le groupe discute sur l’intérêt – validé – de tirer au sort des citoyens pour « les associer aux décisions publiques » (question 12), Sylvestre, la quarantaine longiligne, demande la possibilité de s’installer à notre table. Christian rigole : « Les jeunes, ils ont 48 ans ici ! »
20:40
La salle se vide, mais le questionnaire est loin d’être épuisé. Le maire : « Est-ce qu’on va au-delà de 21h ? » Réponse catégorique de Pierre, qui est arrivé avec une heure d’avance : « Ah non ! »
20:46
Fin des questions sur la démocratie, la table attaque la citoyenneté avec la laïcité. Stéphanie : « Je vais peut-être choquer, mais je ne conçois pas que les maires paient pour l’entretien des églises alors qu’il n’y a rien pour les mosquées. » Sylvestre et son pull noir : « On pourrait faire des bains publics dans les églises ! » Et de préciser tout sourire : « Je provoque. »
20:57
« C’est bon pour vous ? », interroge Gérard Avril, le visage toujours aussi fermé. Conclusion de Nicole : « C’est difficile de parler de laïcité en cinq minutes. » De démocratie et de citoyenneté aussi…
21:02
Alors que le premier rapporteur, un blond en pull fuchsia, égrenne questions et réponses de son groupe, Christian ricane : « C’est En Marche ! »
21:17
Main gauche dans la poche de son pantalon, Pierre achève sa synthèse des propositions du groupe du Ravi sous les applaudissements. Gérard Avril est avachi sur une chaise et hypnotisé par son téléphone, mais au plus grand plaisir de Stéphanie l’ancien prof n’a pas oublié de rappeler que « la transparence est le mot de la soirée ».
21:21
Une première dans ces retours d’ateliers : une doublette féminine a été désignée pour présenter le travail de son groupe. En l’occurence la cinquième table, celle où ça « fightait ». Explication d’une quadra aux cheveux courts : « On a tenté de définir la démocratie, mais pour certains on n’est pas en démocratie. »
21:25
La salle se vide. Le groupe de la table du Ravi continue à papoter pendant que Gérard Avril, Florence Cornuet et Noël Piton ramassent les derniers papiers et rangent les tables et les chaises.
21:28
Les gendarmes ont mis les voiles. Certainement partis vers de plus hautes missions : depuis le début du mouvement des gilets jaunes, ils assurent pratiquement 24h/24h la garde du rond point que les frondeurs ont fini par leur abandonner et celle de la maison du ministre de l’Intérieur…