Le maire, le seigneur et ses vassaux
La figure du maire semble résister à tout : parmi les élus de la nation, les maires restent les plus populaires ; ils sont jugés les plus à l’écoute des préoccupations de la population, loin devant les conseillers généraux ou les députés. Nous avons construit une image eucharistique du maire : il est le corps social, il incarne et donne une figure à la communauté d’habitants. Un tel prestige, presque inconditionnel, est déjà motivant en soi pour le candidat.
Ensuite, la décentralisation a réellement transféré du pouvoir au maire. Depuis 30 ans (le pouvoir local est encore très jeune…) le maire a pu expérimenter sa capacité à réaliser des projets, et se présenter comme un « entrepreneur de politique publique » à sa population. Grisé par ce nouveau pouvoir, comme un enfant avec le jouet qu’il vient de recevoir, l’élu local n’est pas prêt à partager, et encore moins à reconnaître les limites de ce pouvoir. Lorsqu’il est pris en flagrant délit d’impuissance, c’est forcément la faute de l’Etat qui « n’assume pas ses responsabilités ».
Dans notre belle région, cependant, la décentralisation a aussi permis d’ancrer un peu plus un système politique féodal, basé sur le fief électoral. Chaque élu local qui « tient » un quartier ou une zone rurale, peut disposer, à travers les mandats de ses vassaux dans les différentes collectivités, de ressources pour entretenir le lien avec ses électeurs. L’élu local est alors à la fois seigneur de ses vassaux, et lui-même vassal d’un seigneur plus important, le suzerain, auquel il doit hommage. Le suzerain, en échange de l’hommage, doit protéger et favoriser ses vassaux. Ce système pyramidal est stable mais oblige le suzerain à toujours rendre des comptes à ses vassaux : il est un chef sous surveillance. Ce système, enfin, oblige tout candidat à cultiver son ancrage local : il tolère mal les parachutages.
Dans ces liens d’hommage, les élections municipales ressemblent à une lutte pour devenir suzerain : ce n’est pas tant le pouvoir effectif que les candidats recherchent, mais l’hommage des autres seigneurs. C’est le passage obligé pour être légitime aux postes-clés du pouvoir réel : la présidence de la communauté urbaine ou d’agglomération, un ministère, une charge importante au sein du parti, etc. Ainsi les primaires socialistes à Marseille voient s’affronter une ministre et un président d’agglomération, qui sont tous deux jugés « illégitimes » à leur poste aux yeux des autres seigneurs : une fois élu(e) maire, il/elle ne pourrait plus être contesté(e) comme suzerain, à condition qu’il/elle sache protéger et favoriser les intérêts de ses vassaux… Devenir maire reste donc une étape clé pour une ascension politique durable.
Etienne Ballan