Vive la crise !
Au lendemain du drame de la rue d’Aubagne, les collectifs d’habitants se sont étonnés de voir avec quelle rapidité l’Education nationale avait trouvé pour les enfants délogés des places à l’autre bout de la ville, dans les écoles des quartiers nord. Même étonnement en voyant une agence immobilière marseillaise se fendre – « afin de ne pas vous déranger et par correction » – d’un courrier aux propriétaires d’un immeuble venant d’être frappé par un arrêté de péril pour racheter leur bien ! « En prenant à notre charge tous les coûts engendrés par la mise en péril », précise la missive d’une agence qui dit avoir été « informée par le service de l’urbanisme ».
Un an après, les agents immobiliers sont toujours à l’affût. Ce que confirme une source aux services de l’urbanisme questionnée sur d’éventuelles sollicitations d’acteurs privés : « Ça arrive parfois mais on ne donne aucune info. Et depuis que les arrêtés de péril sont sur le site internet de la ville, ils n’ont plus besoin de frapper à la porte de notre service. »
« La spéculation s’est manifestée tout de suite »
Le cas est loin d’être isolé. Souvenir de Marie Batoux, du Collectif du 5 novembre: « J’ai été délogée le 1er février. Et le 5, alors qu’on avait eu une réunion auparavant avec les services de la mairie, je reçois un SMS. » Qui, avec force émoji, clame : « Vous avez une maison ou un appartement à vendre ? Je m’en occupe ! De la transaction au déménagement en passant par la rénovation jusqu’à la signature de l’acte final, je serai présent (et même après pourquoi pas !) Vous pouvez me joindre tous les jours même tard le soir (pas trop tard non plus, c’est compliqué le lendemain). »
Réputation de requins
Précision de Marie Batoux : « C’est un agent immobilier que je ne connaissais pas et avec qui je n’avais jamais été en contact. Et quand je l’ai appelé pour m’étonner du message, il m’a dit que cela n’avait rien à voir avec la mairie. » Contacté, l’agent s’offusque : « Je comprends qu’il y ait eu un traumatisme mais il ne faut pas être parano. Il n’y a pas de listes de personnes délogées. Sur mon téléphone se mêlent contacts pro et perso. J’avais dû être en contact avec cette personne pour des questions immobilières ou autre chose. Je sais que dans l’immobilier, on a la réputation d’être des requins mais on n’a aucun intérêt à acquérir des biens en péril. »
Pourtant, des prospectus ont surgi dans les boîtes aux lettres du centre-ville qui claironnent : « Ça bouge sur Marseille ! » Avec le portable d’une certaine « Séverine » qui « cherche des villas et appartements ». Qui nous explique : « Si le bien est en péril, on ne peut l’acheter. Il faut attendre la levée de l’arrêté. Mais s’il y a des travaux, il n’y aura pas forcément de perte de valeur. J’ai déjà vendu plusieurs biens dans le secteur. »
Tous les coups semblent permis. Comme raconte Marion qui, au printemps dernier, s’est vu louer par une agence marseillaise « un appartement au cœur de Noailles dont on s’est rendu compte, en emménageant, qu’il venait de faire l’objet d’un arrêté de péril ! Il y avait encore la chaîne sur la porte de l’immeuble. Et si, dans l’appartement, il y avait eu un coup de peinture, la cage d’escalier était dans un état déplorable. Avec des rats, des cafards, des punaises… Surtout, le reste de l’immeuble était vide, tous les occupants avaient été délogés ». Au bout d’une semaine, après avoir menacé l’agence de les traîner en justice, Marion récupèrera frais d’agence et caution mais pas le loyer de 300 euros.
Risque de gentrification
Pour Florent Houdmon, de la Fondation abbé Pierre, « alors que l’urgence, c’est reloger les gens qui vivaient là, il y a de la spéculation avec un risque de gentrification. L’autre danger, c’est de voir s’installer des marchands de sommeil qui vont se contenter de travaux à bas coût pour lever les arrêtés sans résoudre les problèmes de logement indigne ». Même son de cloche de la part de Patrick Lacoste, d’Un centre-ville pour tous : « La spéculation, on l’a vu se manifester tout de suite. Au point de nous interroger sur les effet pervers des aides aux travaux de la part des pouvoirs publics. »
Mais, comme l’explique un petit propriétaire en centre-ville : « Avant que l’immeuble où l’on a plusieurs appartements ne soit frappé par un arrêté de péril, on avait entamé des travaux et même engagé un bureau d’études. Mais comme on est désormais dans l’obligation de reloger nos locataires et n’ayant pas d’autres sources de revenus, tout est en stand-by. On attend donc de voir avec les autres copropriétaires quelles vont être les aides pour des travaux de plus de 200 000 euros. »
Du côté du Conseil national de la transaction et de la gestion immobilière, une sorte de conseil de déontologie, on ne trouve pas grand chose à redire. « L’organisme que je préside vient de se mettre en place, confesse, à sa décharge, Hugues Périnet-Marquet. Quant à la commission de contrôle qui sera chargée de lutter contre les pratiques abusives, elle n’existe pas encore et la loi est assez elliptique à son égard. Voilà pourquoi je serais très prudent et ne m’engagerais pas sur un terrain qui, de fait, ne sera pas le mien. » Quand on insiste, le juriste lâche : « Vous savez, dans toute opération immobilière, les professionnels essayent de gagner un peu d’argent. Et, du strict point de vue du droit, il n’est pas anormal qu’un contractant face une bonne affaire par rapport à l’autre partie. »