Le mandat fétiche
Certains maires ont des problèmes avec les rapports de la chambre régionale des comptes (Roquebrune-sur-Argens, Aubagne et Marseille pour les plus récents), d’autres sont « emmerdés » par des électeurs qui ne supportent pas la clim de leur boulangerie. Premier magistrat de Brignoles (83) depuis 2008, Claude Gilardo, lui, a failli changer les ampoules de quelques lampadaires au retour d’un week-end. « C’est ce qui fait le charme [de ce mandat] », s’amuse le communiste de 78 ans, conseiller municipal depuis 1977. Et de soupirer, alors qu’il a décidé de ne pas se représenter en mars prochain : « Brignoles, c’est un peu l’amour de ma vie. »
Cet attachement de Claude Gilardo à la ville où il a grandi, est largement partagé par les élus, en poste comme par les candidats à leur succession. Et pas seulement parce que la campagne électorale des municipales est lancée. Le député UMP Jean-Pierre Giran parle ainsi d’une « relation passionnelle » avec Hyères (83) – « un stradivarius dont on a envie de jouer quand on aime la musique » –, où il brigue pour la troisième fois le trône du regretté et truculent Léopold Rotindale, avec comme première promesse de quitter définitivement Paris pour la cité aux 7000 palmiers s’il est élu. De son côté, Joël Giraud, député PRG de Gap (05) et vice-président du conseil régional, jure qu’interdiction du cumul ou non il « ne [lâchera] jamais sa mairie » de l’Argentière-la-Bessée (2300 âmes), dont il préside aux destinées depuis 1989. « Le mandat de maire est l’alpha et l’oméga de la petite carrière politique, celui que l’on met en avant même si on en a d’autres », explique Maurice Olive, maître de conférences en sciences politiques à l’université Aix-Marseille.
Le père, le sage, le chef de tribu
La singularité administrative de la France y est certainement pour beaucoup. Avec quelques 37 000 villes et villages (958 en Paca, dont 11 de plus de 50 000 habitants), elle englobe à elle seule quelques 40 % des communes de l’Europe des 27. Le maire y tient donc une place centrale. C’est d’ailleurs l’élu préféré des Français : en 2008, selon une enquête publiée à la veille du premier tour des municipales, 88 % des sondés disaient connaître le nom de leur maire, contre seulement 58 % ceux de leur député et 46 % de leur conseiller général. Une popularité et une proximité que les élus aiment mettre en avant. « Le maire, c’est le père, le chef de tribu, le sage, celui à qui on peut se confier », avance ainsi Serge Gloaguen, maire DVG de Digne-les-Bains (04), qui a décidé, la mort dans l’âme mais 70 ans au compteur, de passer la main après deux mandats. « Il est une extension de la famille, un proche », complète le moustachu Joël Giraud.
Mais le maire est aussi celui qui façonne une commune, construit les infrastructures, le vivre ensemble. « Dans mes travaux sur la mobilisation contre la métropole marseillaise, les maires mettent en avant leur utilisé sociale, leur prise directe sur les choses, sur leur territoire et les problèmes de leur population, note le politologue. Au-delà des propos convenus, le maire a une vraie implication directe, il lance les projets, les réalise. » « C’est le seul mandat où on ne s’emmerde jamais, où on peut montrer qu’on peut transformer un bled et dont on peut tirer une légitime fierté de son action, puisqu’on va jusqu’à l’inauguration, à couper le ruban rouge », insiste le député PRG des Hautes-Alpes, entré en politique « au nom du père », pour réussir où se dernier a échoué, la relance de l’économie locale après le départ de Pechiney.
Autres exemples avec nos deux sortants, Claude Gilardo et Serge Gloaguen. De ses six années passées à la tête de Brignoles, le communiste garde comme principal fait d’arme « sa lutte contre Rachida Dati ». « Elle m’a arraché le tribunal de commerce, mais n’a pas pu m’enlever le tribunal d’instance. Je viens de poser la première pierre », triomphe le septuagénaire. Moins spectaculaire, le Dignois met de son côté en avant son attachement à proposer pendant ses deux mandats « une qualité de services publics à la hauteur de attentes des citoyens ». « Créer le lien social ou un centre d’art contemporain, ce sont des moments extraordinaires. On a l’impression de servir », acquiesce l’UMP Jean-Pierre Giran, qui a déjà été aux manettes, à Saint-Cyr-sur-Mer entre 1989 et 2001.
Pouvoir symbolique
Dans les faits, les maires disposent de peu de compétences et de pouvoirs (voir ci-dessus). Et le sens de l’histoire ne plaide pas pour une inversion de la tendance. Mais si la nouvelle loi de décentralisation, avec la montée en puissance des intercommunalités (voir p.12), va les plumer un peu plus, à part dans les petites communes rurales et dans les Bouches-du-Rhône, où sévit une fronde contre la métropole marseillaise, les maires ne se sentent pas tous menacés. D’abord parce que l’intercommunalité est entrée dans les mœurs ; ensuite parce qu’il y « aura à la fois mutualisation et délégation des compétences », indique Yves Luchaire, professeur de droit public à l’IEP d’Aix-en-Provence. Et de rappeler : « Les intercommunalités ont été créées parce que toutes les tentatives de regroupement de communes depuis la révolution française ont échoué. »
D’autres raisons incitent également à la préservation des maires. Elles sont plus ou moins avouables. La première est ainsi avant tout politicienne (constitutionnelle ?). « Les élections municipales déterminent aussi les intercommunalités et le sénat », insiste le juriste. Las but not least, ce sont les scrutins les plus populaires. « Ils concernent plus d’un million de personnes. Tous ceux qui veulent peuvent devenir conseiller municipal », poursuit Yves Luchaire.
Pour autant, les maires vont devoir s’adapter. Président de l’union régionale des maires et de l’association des maires du Var, le radical valoisien (Borloo) Jean-Pierre Veran prévient : « Avec la montée en puissance de l’intercommunalité, nous allons devoir apprendre à mutualiser les services, à gérer ensemble. » Et le premier magistrat du village de Cotignac (83) de plaider pour l’avènement d’un maire nouveau : « Il sera moins amené à inaugurer les chrysanthèmes, il va devoir savoir s’exprimer, être visionnaire au-delà de son clocher et ne pas avoir peur d’informer et de rendre compte à ses administrés. » Une vraie révolution !
Ou peut-être un doux rêve. « Même s’il reste le médiateur, grâce à ce qui lui reste de capacité redistributive, le maire a perdu son pouvoir de coordination de l’action collective. Il est devenu un élu parmi d’autres, juge le politologue Maurice Olive. De ce point de vue, les campagnes municipales sont presque anachroniques, elles ne font que réinstaurer le pouvoir symbolique du maire. » Et de tacler: « La campagne sécuritaire des candidats à la primaire socialiste à Marseille n’est que la mise en scène du retour de l’autorité municipale. »
Jean-François Poupelin