Tu ne discrimineras point
La scène qui suscite le plus de réactions est celle où un animateur donne rendez-vous à un jeune au centre social pour préparer son entretien d’embauche. Le jeune ne vient pas. L’animateur le retrouve assis sur une chaise, en train de faire le chouf dans le quartier. Le jeune se justifie : « Ils vont prendre que des blancs t’façon. Je m’appelle Bilel, ils ne vont jamais lire mon CV. » L’animateur essaie de le raisonner : « Soit tu restes là, soit tu saisis ta chance. »
La salle ne tarde pas à réagir. « C’est un jeune qui n’a pas confiance en lui », souligne Titus, animateur à la maison pour tous-centre social Kléber (Marseille 3ème). Pour Adel, « c’est de l’auto-discrimination ». « C’est une fatalité », lance Dayen. Une discrimination qui se fait par rapport au nom, mais aussi par rapport au quartier d’où l’on vient, et qui sur un CV laisse la porte ouverte à tous les préjugés que peut avoir un employeur. « Il a peur parce qu’on va lui dire sale Arabe ou croire que c’est un voleur », lance un autre.
Kamel, le comédien, ironise : « Ah c’est vrai que vous vous n’êtes pas français ! » « Les Français ce sont les blancs blancs », rétorque Azzo. Wallid, assis au premier rang, a bien une idée sur ce manque de confiance en soi qui anime le jeune homme de la saynète : « Depuis tout petit on entend que parce qu’on vient du quartier, on ne va pas réussir, du coup on l’a dans la tête », explique-t-il. Kamel rebondit : « On fait quoi alors ? On accepte la fatalité ou il y a autre chose pour nous ? »
Être issu du quartier mais quand même tenter sa chance, les jeunes ont du mal à appréhender cette possibilité. Wallid poursuit : « Si on montre à ce garçon un exemple comme lui mais qui a réussi peut-être qu’il réussira à son tour ? » L’assemblée acquiesce. « Oui mais celui qui a réussi, il ne reste pas dans le quartier », souligne une jeune fille. Et sa copine d’ajouter : « Si tu réussis, tu as envie de partir, ceux qui restent, ils sont perdus. »
Kamel élargit le débat, en les sortant de leur zone de confort pour leur montrer que la discrimination peut se cacher aussi ailleurs : « D’après vous, on ne discrimine que les noirs et les Arabes ? » Kamel les pousse dans leurs retranchements : « Est-ce qu’on discrimine par rapport à la préférence sexuelle ? Ah, mais c’est vrai, y’a pas d’homosexuels dans les quartiers ! » « De toute façon c’est pas ici qu’ils vont se dévoiler ! », tempère un jeune homme.
« Ils ne le disent pas parce qu’ils ne veulent pas donner le mauvais exemple », lance un autre. Inès n’a rien contre eux, « tant que ce n’est pas dans [sa] famille, ça va », précise-t-elle. Pour certains « il faut les castagner », mais seulement les hommes parce que « les lesbiennes ça passe crème ». Certains rappellent qu’« il s’agit tout de même d’êtres humains », qui méritent le respect et qu‘« on ne choisit pas non plus de qui l’on tombe amoureux »…
Un groupe de garçons ricane. Certains propos sont assez violents. Kamel interroge : « Est-ce que les parents n’ont pas un rôle à jouer dans tout ça ? Comment peuvent-ils expliquer l’homosexualité à leurs enfants ? » Du haut de ses 16 ans et de sa maturité, Nadia a bien une idée : « En leur disant simplement que ce sont deux personnes qui s’aiment. »