L’alternative des coopératives de presse
On en rougirait ! Bricolé par le Ravi, le qualificatif « pas pareil » s’impose dans le monde des médias. Dernier exemple ? L’étude du chercheur et membre d’Acrimed (Action critique médias) Nils Solari consacrée au mensuel écolo L’Âge de faire, à la diffusion nationale mais basé dans les Alpes-de-Haute-Provence : « Une Scop de presse pas pareille ». Un travail qui s’inscrit dans une étude des coopératives de presse. Et qui entre en résonance quand un certain Xavier Niel s’investit dans une coopérative, Nice-Matin.
Comment est née cette étude ?
J’avais mené une recherche en Argentine sur les entreprises récupérées. Et pu me rendre compte de l’hétérogénéité des pratiques coopératives. Militants et chercheurs s’enthousiasmaient face une « avant-garde », des salariés qui reprenaient leur entreprise… mais qui leur expliquaient que c’était avant tout pour sauver leur boîte. J’ai prolongé ce travail en me focalisant sur les coopératives de presse. Une question trop vite évacuée par l’économiste Julia Cagé dans son livre Sauver les médias. Pour elle, ce n’est qu’une niche et, à part Alternatives Économiques, vouée à l’échec. Derrière, l’interrogation, c’est comment une équipe de journalistes peut garder le contrôle de la rédaction. Je me suis penché sur une dizaine de cas. Dont L’Âge de Faire.
De quoi témoigne L’Âge de faire ?
C’est une histoire qui, jusqu’à présent, se déroule plutôt bien, à la différence de Filfax ou Altermondes. Chacune a ses spécificités. L’Âge de faire, ce n’est pas une création mais une reprise en Scop car, à l’origine, il y a un journal créé par Alain Duez, qui ne vient pas de la presse et qui, pour sensibiliser le grand public à l’écologie, a écumé les foires bio et constitué auprès d’un lectorat militant une assise à ce titre. C’est d’ailleurs l’un des atouts de cette coopérative. Qui, d’une certaine manière, flatte nos ego puisque c’est un journal écolo, sans pub, dont la gestion est démocratique et où il y a une réflexion sur l’organisation du travail, en particulier éditorial. C’est pour ça que je parle de « presse pas pareille », la forme coopérative ayant une incidence sur le fonctionnement mais aussi le contenu. À L’Âge de Faire, on a des rédacteurs qui exercent leur métier différemment. En y perdant en salaire mais en s’y retrouvant puisqu’ils reviennent aux lettres de noblesse, en privilégiant l’enquête, le temps long et en n’étant pas dans l’urgence, l’audimat…
La forme juridique influe donc sur le fonctionnement et la production ?
Oui. Mais cette teinte égalitariste ça ne fonctionne que dans de petites unités et n’est possible que parce qu’il y a un modèle économique qui tient la route. La coopérative, ce n’est pas forcément la panacée. Si Alter Éco a fait le choix de cette forme juridique, c’est aussi pour faire face au succès commercial. Et même s’il y des AG, ça n’empêche pas des dominations symboliques. Comme entre les journalistes et les autres catégories de personnel.
Quid de Nice-Matin, une coopérative où s’investit Xavier Niel, le millardaire PDG de Free et co-propriétaire du Monde ?
Je n’ai eu que peu de contacts. Cela a été un dossier complexe pour le monde coopératif avec des divergences entre les instances parisiennes et les représentants locaux sur l’opportunité de le relancer sous cette forme. Car c’est une grosse machine, un titre plusieurs fois racheté, un dossier très politique avec des personnalités comme Bernard Tapie… Et puis, la volonté des salariés étaient moins de s’inscrire dans des pratiques autogestionnaires que de sauver leur journal. Après, avec l’arrivée de Niel (lire ci-dessous), on reste dans une approche capitaliste classique dans un secteur qui n’est pas sans enjeu politique. Ne nous leurrons pas : les coopératives restent un épiphénomène. Et comme on l’a vu au Courrier Picard ou à La Nouvelle République, quand un acteur important s’y investit, cela se traduit par l’abandon de cette forme. Pas question que des salariés aient autant de droits…
Entretien réalisé par Sébastien Boistel