Clientélisme et corruption, les faux amis
« Clientélisme électoral ». Vedette du procès de l’affaire des subventions fictives du Conseil régional, dont la députée socialiste Sylvie Andrieux est le principal acteur (1), l’expression est depuis le début de la saga des affaires marseillaises, et plus récemment avec le projet de loi sur la transparence de la vie publique, synonyme de toutes (ou presque) les dérives de nos élus.
Non sans raisons. Car certains élus franchissent allègrement la ligne blanche, à l’image de la parlementaire des 13ème et 14ème arrondissements de Marseille ou de l’avionneur Serge Dassault, sénateur-maire UMP de Corbeil-Essonnes, notamment soupçonné d’avoir acheté, littéralement, des voix. Mais ce que dénoncent de plus en plus de citoyens et d’associations de lutte contre la corruption, c’est le tout venant, l’utilisation des ressources à disposition des élus : l’attribution de logements et de subventions, l’embauche de proches ou encore la sacro-sainte et désormais très médiatique réserve parlementaire, qualifiée de « clientélisme légal » par Jean-Christophe Picard, président d’Anticor 06. Liste non exhaustive. Lorsque Rudy Salles, député UDI de Nice, pioche dans son pactole versé par l’Assemblée nationale pour arroser des associations religieuses ou du type « Passion automobile », l’intérêt pour la collectivité n’est effectivement pas criant. « Mais 90 % de nos rendez-vous, c’est des demandes d’emploi, de logement, etc. Si demain l’élu n’a plus de possibilité d’intervention mais, entre guillemets, il sera au chômage », s’insurge Bruno Gilles, sénateur-maire UMP des 4ème et 5ème arrondissements de Marseille (2).
« Si un élu ne peut plus intervenir, il est au chômage », Bruno Gilles
Personne ne le souhaite, surtout en cette période de crise. Seulement, les dernières affaires et les demandes répétées de plus de transparence dans l’utilisation des fonds publics ont brouillé les cartes. « Consubstantiel à la démocratie », pour reprendre les mots de Jean-Luc Blachon, chef de la section économique et financière de la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille (JIRS), le clientélisme n’a jamais été un délit. « Il n’est punissable que lorsqu’il y a atteinte à la probité de l’élu, lorsque des fonds publics servent, par exemple, à rémunérer des agents électoraux plutôt que le corps électoral », précise le procureur (3). Seconde vérité : bien que le sociologue Pierre Tafani martèle que « la constitution ne dit pas que la satisfaction individuelle des citoyens est la boussole des politiques », sa jeune consœur Camille Floderer, doctorante en sociologie politique à l’IEP d’Aix-en-Provence, rappelle que « le bien et le mal dépendent de la législation ».
En sciences humaines, le clientélisme n’est d’ailleurs pas plus qu’une relation sociale, presque une amitié. « C’est une relation de confiance sur le long terme avec réciprocité », explique Cesare Mattina, autre sociologue spécialiste du sujet. Et d’insister : « Le métier des élus est de trouver des ressources pour les redistribuer. Après, un choix s’opère, qui est souvent restrictif. »
Pire, le clientélisme a même quelques vertus ! Il est notamment facteur d’intégration politique. « Entre 1860 et 1914, c’est par lui – à l’époque les ressources étaient la construction de routes, l’accès à l’eau, à l’électricité – que les départements monarchiques ont été ralliés à la République », note Pierre Tafani. Les carottes d’aujourd’hui – emploi, logement, place en crèches –, bien qu’elles soient moins nombreuses, jouent le même rôle auprès des nouveaux arrivants ou des classes populaires. Mieux, selon Cesare Mattina, « ce qu’on demande au bout ce sont des droits ». « Un état social », préfère l’historien Frédéric Monier, qui a travaillé sur le clientélisme dans le Vaucluse au début du 20ème siècle (4).
Conclusion provocatrice de la doctorante Camille Floderer : « Dans un monde où tout se vend, l’interdiction d’échanger son vote contre de l’argent est simplement une norme sociale. »