Pac ou pas Pac ?
Si le monde de l’agriculture est coupé en deux, au bord de la rupture, deux choses semblent rassembler les paysans français, qui plus est de la région Paca : la fin des aides à l’hectare de la Politique agricole commune (Pac) et la baisse prévue de son financement. Pilier de la création européenne, la Pac représente aujourd’hui 43 % du budget de l’Union européenne (UE) : environ 55 milliards d’euros par an. La commission européenne a présenté en 2018 sa « communication » relative à la prochaine Pac (2021-2027), c’est-à-dire ses orientations, ensuite amendées par le parlement et les Etats membres. Il y est prévu une baisse du budget comprise entre 5 et 15 %.
« Inacceptable, pour André Bernard, tout nouveau président de la chambre régionale d’agriculture en Paca (issu du syndicat FNSEA). La Pac c’est 30 centimes par jour et par citoyen européen. On passerait à 25 centimes. 5 centimes ne changeront pas la face du monde. » Pour l’eurodéputé PS du Sud-Ouest, Eric Andrieu, et membre de la commission agriculture du parlement : « C’est un vrai problème. Ce sera le premier combat budgétaire de la prochaine assemblée car c’est un non-sens : l’Europe serait le seul continent à baisser son soutien à l’agriculture. »
L’autre Arlésienne qui fâche, ce sont les aides à l’hectare qui favorisent les gros producteurs. Surtout dans la région où les surfaces agricoles sont plus petites et éclatées que dans le nord de la France. « On a dû se battre fort pour faire comprendre à l’Europe que les chèvres, par exemple, allaient pâturer dans des champs où il y a des arbres, ce que ne prenait pas en compte l’UE… Ce qui montre bien la déconnexion ! », commente Laurent Thérond, vigneron en Vaucluse, membre de la Confédération paysanne, 38ème sur la liste de la France insoumise aux élections européennes et également élu à la chambre d’agriculture. Sur le fond, il défend une répartition différente : « Aujourd’hui, 80 % des aides vont à 20 % des agriculteurs et les plus gros pollueurs en sont les grands gagnants. Nous défendons des aides priorisées sur les 60 premiers hectares pour développer une petite agriculture paysanne. »
Pour le leader des Jeunes agriculteurs de Paca (1), Pierrick Horel, 29 ans, éleveur de vaches à Aubignosc (04) sur 220 hectares, il faut que le calcul de ces aides soit lié à l’actif agricole (production, critères de revenus, de gouvernance, de temps de travail…) : « Des personnes à la tête de grosses sociétés qui investissent sur du foncier pour toucher des aides alors qu’ils ne sont pas agriculteurs à titre principal, donne-t-il en exemple. Et nous militons également pour une prise en compte d’une limite d’âge pour favoriser l’installation de jeunes. »
Suite à la communication de la Commission, l’eurodéputé Eric Andrieu (qui devrait être réélu) a été désigné comme l’un des trois rapporteurs du parlement pour la future Pac et s’est intéressé aux outils de gestion de crise en cas de coup dur pour une filière agricole. « Mon rapport, amendé par les différents groupes du parlement, a été voté à 80 %. Les libéraux ont voté contre car c’est une rupture de marché entre l’offre et la demande, mais une partie des députés PPP (droite, Ndlr) m’ont soutenu. Comme quoi, il peut y avoir des compromis et une autre agriculture, sans pesticides, tournée vers la santé et l’environnement, est possible. » Il admet que ses travaux « ne serviront peut-être à rien » car selon les rapports de force dans le nouveau parlement, tout pourra être remis à plat. Pour lui « le débat se situe entre financiarisation de l’agriculture et santé publique » et le résultat des élections sera crucial.
Pour André Bernard, la transition vers une agriculture plus « propre » demande du temps et de l’argent. « Il ne faut pas opposer bio et conventionnel, il faut prendre de la hauteur, assure Pierick Horel, qui 10 ans après avoir pris la suite de ses parents en bio va probablement en sortir pour des questions de rendement. On nous demande plus de bio mais en même temps on multiplie les accords commerciaux type Ceta ou Mercosour… Cherchez l’erreur. » Pour Laurent Thérond, il faut sortir au plus vite de ce modèle « basé sur l’exportation, les rendements et la compétitivité qui fout l’agriculture dans le trou depuis des années ». Mais pour cela, reconnaît-il, « il faudra encore batailler »…
1. Syndicat lié à la FNSEA. Son président, Jérémy Decerle, est en position éligible sur la liste En marche !